Mars 2014 /232

Les mammifères marins, espèces menacées

Conférence de l’European Cetacean Society

ECS2014Cela pourrait être un remake des Dents de la mer. Sauf qu’il ne s’agit pas ici de requins, mais bien de phoques gris. Et que ceux-ci ne s’en prennent pas à des baigneurs, mais se mettent à chasser des marsouins. Et pas sur les côtes américaines, mais bien à la côte belge. Un jour, peut-être, cette situation qui n’a rien d’une fiction pourrait donner lieu à un long-métrage, mais pour l’instant elle inquiète les spécialistes. Cet étrange type de prédation a-t-il toujours existé sans jamais être remarqué auparavant ? Ou est-il la conséquence d’un manque de poissons pour les nourrir ? Mystère.

Ce phénomène, comme bien d’autres, sera abordé lors de la 28e conférence annuelle de l’European Cetacean Society (ECS), société scientifique qui regroupe l’ensemble des chercheurs européens étudiant les mammifères marins. Après Cadiz (Espagne), Galway (Irlande) et Setubal (Portugal), Liège a été choisie pour la tenue de cette édition 2014.

Sentinelles de l’environnement

Depuis plusieurs semaines, le laboratoire d’océanologie et le département de morphologie et pathologie de l’ULg sont donc sur des charbons ardents pour accueillir au mieux les 350 scientifiques internationaux attendus du samedi 5 au mercredi 9 avril. Six journées de workshops et de discussions entre professionnels qui se focaliseront cette année sur le thème des “mammifères marins comme sentinelles d’un environnement en mutation”. Car les baleines, phoques, dauphins, otaries, orques et autres morses sont aux premières loges pour assister aux changements majeurs actuellement à l’oeuvre. Et, malheureusement, pour en subir les conséquences néfastes. « C’est précisément sur ces pressions anthropiques que se focalisera la conférence, qu’elles donnent lieu à des maladies ou qu’elles se traduisent par de la pollution », précise Krishna Das, chercheur qualifié FRS-FNRS au sein du laboratoire d’océanologie de l’ULg.

La prédation entre phoques gris et marsouins n’en est qu’une illustration parmi d’autres. Le problème des captures accidentelles par les pêcheurs et les conséquences que cela peut engendrer au niveau de l’abondance des espèces constituent un autre exemple fréquemment évoqué. D’autres constats scientifiques se révèlent toutefois moins connus du grand public. L’apparition de la brucellose en est un alors que cette maladie infectieuse était jusqu’alors principalement observée chez les mammifères terrestres, y compris les humains. Environ 10% des mammifères marins en sont atteints et cette pathologie pourrait provoquer des altérations de la reproduction à l’échelle des populations. En 2012, certains chercheurs évoquaient la possibilité d’infection via les poissons, après que quatre cas de contaminations d’hommes ayant consommé du poisson cru ont été constatés.

Un virus sème aussi le trouble au fond des mers : le morbilivirus, mortel pour les phoques, les dauphins et même les plus grandes baleines chez qui il provoque des broncho-pneumonies et des encéphalites. Là encore, on suspecte que plusieurs polluants immunotoxiques puissent favoriser l’apparition de la maladie et d’en expliquer la sévérité. A titre d’exemple, les PCB, des polluants industriels interdits depuis plus de 30 ans, sont toujours présents en concentration élévée dans les tissus de ces prédateurs. Une persistance qui s’explique par leur longévité, leur place au sommet de la pyramide alimentaire et l’impressionnante quantité de nourriture qu’ils peuvent ingurgiter. Jusqu’à 10% de leur poids ! Une baleine bleue, elle, peut peser 170 tonnes… Une partie des polluants sera stockée dans la couche de graisse sous-cutanée de l’animal, couche épaisse qui ne se débarrasse pas du jour au lendemain des traces de polluants ingurgités.

DasKrishna« Il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance de la pollution acoustique, ajoute Krishna Das. On dit souvent que les océans sont des mondes silencieux, mais la propagation des sons y est importante ! Or, les mammifères marins vivent dans un environnement qui devient de plus en plus bruyant. Entre autres à cause des bateaux toujours plus nombreux, des essais militaires ou encore de la prospection sismique. Le Monde du Silence de Cousteau (1956) ressemble plutôt à une boîte de nuit techno ! Ces phénomènes peuvent influencer la distribution des espèces. Aussi, lorsqu’un animal est surpris par un bruit en profondeur, il peut remonter rapidement à la surface avec tous les risques de décompression que cela implique. »

Tous ces sujets seront au coeur des débats lors de la conférence de l’ECS. Si ce congrès s’adresse avant tout aux professionnels, les organisateurs liégeois ont nénanmoins tenu à mettre sur pied un événement à destination des non-spécialistes. « Lorsque l’on fait de la recherche grâce à des fonds publics, j’estime qu’il est important d’en faire profiter le public », juge l’océanologue.

Débat ouvert au public

Un Café des sciences se tiendra dès lors le lundi 7 avril à 20h. Au programme : plusieurs intervenants (Krishna Das et le Pr Jean-Marie Bouquegneau du laboratoire d’océanologie, Thierry Jauniaux, vétérinaire du département de morphologie et de pathologie, et Ursula Siebert, directrice de l’Institute for terrestrial and aquatic wildlife research de l’université de Hanovre) dont les présentations n’excéderont pas plus de 30 minutes, de manière à laisser une place plus grande au débat avec la centaine de personnes attendues dans l’assistance. Le thème : “Des mammifères marins et des hommes”. « Nous interviendrons sur les menaces qui pèsent sur ces espèces dans les eaux européennes, spécifie Krishna Das. Cela intéresse en général le public, même si certains ignorent que l’on trouve des mammifères marins en mer du Nord.» Ce Café des sciences se déroulera à la Brasserie Sauvenière à Liège. Un cinéma comme cadre pour évoquer une réalité qui a fini par dépasser la fiction d’un blockbuster : l’endroit est sûrement bien choisi.

European Cetacean Society

Du 5 au 9 avril, à l’Aquarium-Muséum, quai Van Beneden 22-25, 4020 Liège.

Contacts : courriel ECSconference2014@ulg.ac.be, site www.liege.europeancetaceansociety.eu

 

Mélanie Geelkens
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