Steven Laureys, directeur de recherches au FNRS (Cyclotron-ULg) et professeur de clinique au CHU de Liège, publie actuellement chez Odile Jacob un livre dont le titre laisse rêveur et perplexe à la fois : Un si brillant cerveau. Les états limites de conscience.*
Construit à partir de plusieurs histoires vécues, l’ouvrage explique, dans une langue très accessible, comment le cerveau fonctionne. S’il retrace les découvertes majeures dans l’histoire de la neurologie, il nous plonge rapidement dans la réalité médicale en commentant les récentes avancées des neurosciences. Steven Laureys aborde ainsi l’état de conscience, le sommeil, l’expérience de mort imminente, le locked-in-syndrome, etc. Avec l’ambition de s’adresser au grand public « et de sensibiliser les pouvoirs publics sur “l’épidémie silencieuse” que constitue l’ensemble des patients en état végétatif, incapables de communiquer avec l’extérieur, et qui ont besoin de soins spécifiques ».
Si le clinicien-chercheur fait le point sur les nombreux travaux de son laboratoire (le Coma Science Group), son livre est aussi un vibrant plaidoyer pour la recherche fondamentale. « Mieux comprendre le cerveau, c’est ouvrir des portes vers des questions nouvelles et des réponses imprévisibles. C’est toute la beauté de notre métier ! » Et pas uniquement dans un but thérapeutique : « Toutes nos expériences sont le fruit du fonctionnement spécifique de milliers de milliards de connexions dans cette masse de neurotransmetteurs qui se trouvent dans votre cerveau. Même pour une expérience aussi complexe que l’amour, je ne vois pas pourquoi on ne parviendrait pas à mieux comprendre comment cela fonctionne, où cela se déroule et ce qui se passe en fait dans notre cerveau lorsque nous éprouvons des sentiments pour quelqu’un. Sans pour autant porter préjudice à son aspect romantique… Mieux on comprendra l’activité cérébrale qui suscite le sentiment amoureux, mieux on pourra aider les gens qui peuvent, par exemple, être complètement anéantis par un chagrin d’amour. »
* Steven Laureys, Un si brillant cerveau. Les états limites de conscience, Odile Jacob, Paris, janvier 2015.Le Coma Science Group recherche des personnes qui ont eu une expérience de “mort imminente”.
Contacts : tél. 04.242.55.99, courriel alexandra.meys@chu.ulg.ac.be, site www.coma.ulg.ac.be
Comment le cerveau produit-il de la pensée ?
« Près de 17 milliards de neurones se situent dans le cortex du cerveau, lequel joue un rôle déterminant pour la perception et les pensées. La vraie puissance de notre cerveau réside dans la pléthore de connexions qui existe entre ces neurones. Pour comprendre comment naît la pensée, nous, neurologues et chercheurs, mettons nos pas dans la “néo-phrénologie” qui tente d’associer des fonctions intellectuelles et complexes à des aires (ou plutôt des réseaux d’aires) du cerveau. »
Vulgarisation scientifiqueDialogue de sourdsQuand M. Trèspressé, journaliste, rencontre le Pr Celadépend M Trèspressé (par téléphone) : Bonjour, je voudrais vous interviewer à propos de votre publication cette semaine dans le magazine Science. Auriez-vous un peu de temps à me consacrer ? Première incompréhension entre le chercheur et le journaliste : le rapport au temps. Tous deux publient, certes, mais le chercheur doit travailler des mois, voire des années avant de faire paraître un article. Un journaliste de la presse quotidienne n’a généralement que quelques heures avant son prochain bouclage. Si l’entretien entre M. Trèspressé et le Pr Celadépend a malgré tout lieu, les deux protagonistes se quitteront sans doute sur ces mots : Pr Celadépend : Et bien entendu, vous me ferez relire votre article avant publication... Deuxième source d’incompréhension : les journalistes n’ont pas l’habitude de faire relire leur papier. Il plane un petit parfum de censure sur toute demande de relecture. Pour le scientifique, par contre, c’est absolument normal. Il est habitué au peer review (la relecture par un comité d’éminents collègues). Troisième source d’incompréhension : le public cible. Le consommateur d’informations est par définition profane et non captif (personne n’est obligé de lire le journal ou d’écouter la radio) ; le public du chercheur, par contre, est initié et captif (la lecture des articles scientifiques est une nécessité professionnelle). Et le mode narratif s’en trouve bouleversé. Le journaliste, qui connaît l’ignorance (et l’im-patience) de son public, simplifie la science. Réaction du chercheur : Qu’est-ce que mes collègues vont penser de moi ? Le journaliste adore les métaphores, le “grand livre de la vie”, le “big bang”, etc. On s’éloigne de la réalité. Pour rendre la science plus concrète, le journaliste pose toujours une question inconvenante : “Et les applications ?” Mais puisque je vous dis que c’est de la recherche fon-da-men-ta-le ! Le journaliste aime les anecdotes amusantes, surtout si elles humanisent le chercheur, du genre : le Pr Celadépend se détend le dimanche en jouant de la trompette dans la fanfare de son village. Mais qu’est-ce qu’il veut ? Les sources de malentendus sont donc nombreuses. L’expérience apprend pourtant qu’il est possible d’échapper au dialogue de sourds, mais cela suppose des compromis de part et d’autre, une bonne connaissance de l’univers de son interlocuteur et une confiance mutuelle. Ce qui demande de la patience et du temps (la balle, de ce point de vue, est plutôt dans le camp des journalistes). En se rappelant, on l’aurait presque oublié, que les deux professions, au fond, poursuivent le même objectif : proposer une description objective de la réalité. François Louis |