Le 15e jour du mois
Avril 2015 /243

Personnaliser le traitement des patients

L’Université et le CHU de Liège intensifient leurs collaborations

Sans doute faut-il oser. Oser remettre le patient au coeur de notre système de santé. Faire en sorte de garantir un accompagnement optimal du malade tout au long de sa vie, lui permettre l’accès à des médecins généralistes en “première ligne” et à un hôpital de proximité pour les pathologies bénignes. Mettre à sa disposition des centres de références de pointe pour traiter les affections sévères ou chroniques et des structures de revalidation pour sa convalescence. Et garantir, dans chaque cas, une prise en charge de qualité.
C’est dans cette optique que l’Université – à l’initiative du premier vice-recteur Eric Haubruge et du doyen de la faculté de Médecine Vincent D’Orio – et le CHU de Liège ont décidé de travailler de manière plus coordonnée et de créer, ensemble, le “Pôle santé”.

Synergies

CompereJulienJulien Compère, administrateur-délégué du CHU, a immédiatement saisi la suggestion au bond. « Dans le cadre de notre promotion de l’excellence au sein de l’hôpital universitaire, élaborer une stratégie commune avec la faculté de Médecine me paraît essentiel, déclare-t-il. Conjuguer nos efforts – et les financements – pour amplifier nos atouts, nos points forts en recherche comme en clinique, est de nature à mettre au point, plus rapidement encore, des traitements innovants. À terme, mon ambition est de positionner Liège au rang de ville-phare sur la carte de l’Europe de la santé. L’association plus étroite entre le CHU et les laboratoires universitaires est un premier pas en ce sens : elle va accroître notre visibilité vis-à-vis des chercheurs et des investisseurs, pour le plus grand profit des malades. »
DorioVincentLe Pôle santé devrait à terme intégrer dans une même structure les chercheurs, les médecins et les entreprises. « Il faut une intégration plus volontaire entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée afin de relever des défis en matière de santé publique, renchérit le doyen Vincent D’Orio. Viser l’excellence en matière de soins sera le premier objectif du Pôle, traduire plus rapidement les résultats des recherches en avancées tangibles pour la population, le second. »
L’université de Liège a toujours exprimé sa volonté de mettre son expertise au service du redéploiement du bassin liégeois. « De concert avec le Groupe de redéploiement économique (GRE) et la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW), l’ULg, fidèle à sa volonté de mettre le résultat de ses recherches à la disposition de la population, entend bâtir de nouveaux pôles d’innovation générateurs d’activités et donc d’emplois », rappelle Eric Haubruge. C’est déjà chose faite dans le domaine du spatial (Spatiopôle), de l’agriculture urbaine (projet Verdir), de la métallurgie (Reverse Metallurgy). Le Pôle santé s’inscrit dans la même veine.
HaubrugeEricL’idée est née de deux constats positifs : l’ULg dispose de laboratoires de recherches performants dans le domaine de la santé et le CHU de Liège, seul hôpital universitaire de la Région wallonne, possède de nombreuses infrastructures de pointe. « Liège est leader en région wallonne sur le plan médical et pharmaceutique, reprend Eric Haubruge. Mithra Pharmaceuticals, spin-off de l’ULg à l’origine, est un bel exemple d’une recherche menée conjointement par les deux structures. Un des axes de développement de la ville et de sa région est clairement le secteur médical, au sens large. »
Rapprocher de manière plus proactive les chercheurs et les industriels devrait porter des fruits rapidement. « Non seulement les patients bénéficieront d’un arsenal thérapeutique plus efficace, s’enthousiasme le premier vice-recteur, mais la valorisation des résultats de la recherche (sous forme de brevets et de licences) annonce un cercle vertueux pour l’Université, car les contrats génèrent des revenus dont une partie (15%) reviennent à l’Institution sous forme de “participation aux frais généraux” (PFG), ce qui lui permet de financer d’autres recherches et de concevoir les nouvelles formations pour les métiers de demain. »

Preuve par quatre

CHU4Quatre axes forts déterminés par la faculté de Médecine constitueront la colonne vertébrale du Pôle : l’oncologie, la cardiologie vasculaire, les neurosciences et l’arthropôle. « Ces quatre domaines correspondent à des défis majeurs en matière de santé publique, explique le Doyen. Ils constitueront en quelque sorte les piliers de l’édifice sur lesquels viendront se greffer tous les autres domaines de recherche. » Un élargissement de ce Pôle n’est d’ailleurs pas exclu à terme, du côté de la Médecine vétérinaire, des Sciences appliquées et de Gembloux Agro-Bio Tech, « parce que la santé est un domaine multiforme qui inclut aussi l’environnement et l’alimentation, notamment ».
Un inventaire des compétences spécifiques des quatre axes thérapeutiques, ainsi que des compétences transversales et des équipements de haute technologie, a été réalisé. L’objectif étant double : réunir les forces – et les moyens – des équipes afin de susciter rapidement des applications car les synergies possibles sont nombreuses dans bien des domaines et font espérer des débouchés industriels fructueux, en aval. Chaînon manquant dans ce processus qui va du laboratoire à la commercialisation, la société Scinnamic coordonnera l’ensemble de la gestion avec l’objectif de rapprocher l’excellence académique et l’industrie de la santé. « Notre mission est de faire la promotion du Pôle auprès des industries pharmaceutiques et biotechnologiques notamment, tout en devenant l’interlocuteur pour les entreprises soucieuses de collaborer avec le monde universitaire, détaille Benoît Palms, CEO de Scinnamic. Par ailleurs, nous développons actuellement un processus qui permettra de stimuler l’entrepreneuriat et d’aider les chercheurs à valoriser leurs idées, concepts et projets. »
Du côté des entreprises, des demandes affluent déjà de Wallonie et de Flandre, mais aussi de France, du Japon, d’Israël, etc. Quelques contrats ont déjà été signés et des pistes se dégagent dans divers domaines. Cerise sur le gâteau, les futurs partenariats inciteront peut-être les investisseurs et les entreprises à s’installer en région wallonne, voire à Liège.

Quatre axes

Oncologie

CHU1« L’oncologie est en pleine restructuration au CHU de Liège puisque nous travaillons déjà au futur Institut de cancérologie, résume le Pr Yves Beguin. Le bâtiment (en cours de construction) hébergera principalement le Centre intégré de l’oncologie (CIO), soit toute l’activité ambulatoire concernant le traitement du cancer. Un des objectifs est d’offrir au patient, selon son affection, la possibilité d’être reçu dans un même lieu et au même moment par les différents spécialistes tout en passant les examens nécessaires. Cette approche multidisciplinaire de médecins, psychologues et infirmiers a l’ambition de proposer au patient un traitement “sur mesure”. Le Pôle santé complète, en amont, cette démarche en associant l’Institut de cancérologie et les laboratoires universitaires de recherche fondamentale (ceux du Giga notamment), la recherche clinique et la recherche translationnelle. »
L’efficacité de cette collaboration a déjà fait ses preuves. « Des recherches menées au laboratoire d’hématologie du Giga sur les cellules souches mésenchymateuses ont montré leur potentiel comme médicament immunosuppresseur. Les cellules ont ensuite été produites en conditions strictes au laboratoire de thérapie cellulaire du CHU et utilisées dans le cadre de six essais cliniques chez des patients atteints de maladie de Crohn ou subissant une greffe de foie, de rein ou de moelle. Des prélèvements sanguins obtenus chez les malades traités sont envoyés au Giga pour bien analyser les mécanismes d’action de ce traitement novateur. »

Neurosciences

Autre point fort de la faculté de Médecine liégeoise : les neurosciences. « Rappelons que c’est le Pr Joël Bonnal (de Marseille) qui, dans les années 1960 déjà, a fondé à Bavière le service de neurochirurgie, observe le Pr Bernard Rogister. La recherche s’est ensuite constamment étoffée dans l’objectif de saisir la cytoarchitectonie du cerveau, c’est-à-dire de comprendre comment l’architecture des cellules nerveuses et les connections entre elles assurent un fonctionnement normal et harmonieux du cerveau. Un défi particulièrement ambitieux, car le spectre des connaissances à acquérir est très large et doit permettre à terme de mieux traiter diverses maladies neurologiques et/ou psychiatriques. »
Comprendre le cerveau est en effet la seule voie pour tenter de soigner les pathologies neurodégénératives – telles que la maladie d’Alzheimer et celle de Parkinson entre autres – et d’assurer des interventions chirurgicales de plus en plus fines et de plus en plus efficaces. « Une plus grande intégration des quatre entités principales qui s’occupent des neurosciences (le Giga, le Cyclotron, le service clinique du CHU) sera, à l’évidence, bénéfique pour la recherche et la mise au point d’un nouvel arsenal thérapeutique. »

CHU2Cardiologie

« La cardiologie est depuis longtemps un atout de Liège. En tablant sur le laboratoire du Giga, les services de cardiologie et de chirurgie cardiaque du CHU, le Centre d’étude et de recherche sur les macromolécules (Cerm) et le Cyclotron, notre ambition est de construire un véritable Cardiopôle de Liège Santé (Capla), explique Patrizio Lancellotti (qui vient d’obtenir un financement important du Conseil européen à la recherche). Personnaliser le traitement du patient, voilà à mon sens l’objectif essentiel à présent que nous avons acquis de solides connaissances sur les pathologies. Il faut apporter une réponse spécifique à chaque patient, lui proposer un traitement “sur mesure”, ce qui nécessite un gros effort en matière de recherche et une proximité plus grande avec le monde industriel, afin d’identifier de nouveaux biomarqueurs de risque pour un dépistage précoce et de nouvelles cibles thérapeutiques pour la mise au point de nouveaux médicaments ou l’application de nouvelles biotechnologies. Le Cardiopôle doit devenir une plateforme d’excellence en recherche médicale transversale et translationnelle et, à terme, permettre aux équipes de mener à bien des projets innovants. »

Arthropôle

CHU5

« L’ostéoporose, l’arthrose et la sarcopénie (maladie musculaire principalement due au vieillissement) sont des pathologies extrêmement prévalentes : elles touchent plus de 35% de la population au-dessus de 65 ans, rappelle le Pr Michel Malaise. La cellule mésenchymateuse, dont nous avons une grande expérience ici au CHU de Liège, est commune à toutes ces maladies et est à la base de très nombreuses recherches translationnelles dans notre institution. Plus de 100 personnes travaillent sur ces thématiques dans plusieurs laboratoires et services des facultés de Médecine, Médecine vétérinaire, Sciences et Sciences appliquées. Dans l’arthrose, la physiologie reste peu connue et il n’y a aucun traitement curatif. Nous possédons ici à Liège des brevets sur huit biomarqueurs de l’arthrose, soit 12% des biomarqueurs publiés, ce qui est loin d’être négligeable. Nous venons d’ailleurs de recevoir un appréciable financement du FNRS pour leur exploitation. Allier recherche fondamentale (au Giga par exemple) et essais cliniques est à l’évidence une formule positive pour amplifier la recherche et élaborer de nouvelles médications ou stratégies thérapeutiques pour le bien des patients et l’économie de notre région. »

Patricia Janssens
Photos : Jean-Louis Wertz, Michel Houet-ULg

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