Septembre 2015 /246
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Philippe Vendrix

Les Maisons des sciences de l’homme au carrefour des savoirs.

L’année 2015-2016 de la jeune Maison des sciences de l’homme de Liège (MSH) débutera ce 1er octobre par une table ronde consacrée à sa propre position « au carrefour des savoirs, entre citoyenneté et territoire ». Cette discussion donnera notamment la parole à Philippe Vendrix, directeur de recherche au CNRS , professeur de musicologie à l’ULg et à l’université de Tours. Philippe Vendrix est également président du Réseau national des MSH en France. Nous parcourons avec lui, en trois questions, les principales lignes de force des MSH nées dans l’Hexagone.

VendrixPhilippeLe 15e jour du mois : Que sont les Maisons des sciences de l’homme (MSH) ?

Philippe Vendrix : Les premières MSH furent fondées il y a une quarantaine d’années sur le territoire français, dans le but de permettre aux sciences humaines et sociales de dialoguer les unes avec les autres. Il s’agissait non seulement de montrer que les sciences humaines et sociales pouvaient agir à tous les niveaux du monde académique – dans la capitale, ainsi que dans des centres plus périphériques tels que Tours, Poitiers ou Lille –, mais également de montrer qu’il existait une dynamique de la recherche en sciences de l’homme ne reposant pas uniquement sur une logique disciplinaire, à rebours des clichés donnant à penser que les sciences de l’homme étaient constituées d’individus isolés les uns des autres.
Plus près de nous, un problème bien connu des laboratoires a fourni une troisième raison d’être aux MSH : comme ceux-ci nécessitaient quelquefois des équipements onéreux, il faisait sens de mutualiser ces ressources en les regroupant au sein d’une MSH, où elles seraient maintenues et encadrées par un personnel technique en mesure d’orienter les chercheurs.
Enfin, à ces trois éléments s’ajoute le fait que la France a connu une tendance à la décentralisation, ce qui a accru le rôle de ses régions dans le financement de la recherche, y compris en sciences humaines et sociales. Le dialogue qui peut donc être tissé entre les acteurs des collectivités régionales et les universités trouve un terrain favorable dans les MSH. Celles-ci sont un lieu de rencontres et d’interrogations autour de problématiques préoccupant les collectivités locales. Elles mettent aussi en exergue la présence des chercheurs et la nécessité de les maintenir là où ils sont.

Le 15e jour : Quels sont les enjeux des MSH aujourd’hui ?

Ph. V. : Un premier enjeu tient au fait qu’une MSH doit impérativement pouvoir revendiquer non seulement une capacité à abriter des équipements mobilisant des ensembles de données parfois massifs, mais surtout une capacité à participer à des plateformes européennes de recherche. La recherche en sciences humaines ne se fait plus uniquement sur le mode « moi, chercheur, je me pose une question », mais plus fréquemment en réponse aux défis posés par la société à l’échelle européenne.

Ces projets européens conduisent inévitablement à des rapprochements interdisciplinaires, si bien qu’un second enjeu des MSH tient au dépassement de la pluridisciplinarité (c’est-à-dire la réflexion entre disciplines appartenant grosso modo au même champ). Les MSH doivent aujourd’hui jouer le rôle d’incubateurs scientifiques, favorisant le dialogue entre les sciences de l’homme et les sciences dites exactes : sciences humaines et sciences de la santé, sciences humaines et robotique, histoire et géologie, etc. Le cas de la MSH de Paris-Nord, quoique singulier, mérite ainsi d’être évoqué, laquelle, du fait de sa proximité géographique avec les principaux studios de télévision, abrite actuellement “Cap Digital”, un pôle de compétitivité centré sur le numérique. Du fait de cette mitoyenneté, le chercheur se trouve donc exposé à une compétence technologique immense. La MSH de Paris-Nord s’est ainsi développée en un grand pôle de réflexion sur le numérique, les pédagogies innovantes, etc. Il existe actuellement deux modèles de MSH : soit un hôtel à laboratoires attachés à une université, soit un hôtel à projets. Dans ce dernier cas, des scientifiques s’y retrouvent pour mener leurs projets en s’adossant à des équipements, en se reposant sur la dynamique intellectuelle impliquée par cette volonté d’incubation, et en tirant parti d’une capacité de gestion de projets que des laboratoires disciplinaires n’ont souvent pas. Les MSH sont de précieux partenaires dès lors que ces projets réclament une stratégie cohérente de communication et de valorisation des résultats, ou que leurs systèmes de financement imposent un suivi souvent complexe en termes de gestion.

Le 15e jour : Le modèle de la MSH s’est-il répandu en-dehors de France ?

Ph. V. : Pas vraiment. Ce que nous vivons en France – la mutualisation des équipements, l’incubation – se vit certes autant ici qu’ailleurs, mais la réponse que fournira, par exemple, l’université de Liège aux défis posés aux sciences humaines et sociales sera structurellement différente. Ainsi, Liège n’a pas encore souhaité, à ma connaissance, faire de sa MSH un laboratoire d’expérimentations abritant des programmes de recherche. Il s’agit actuellement d’un lieu de divulgation et d’échange des savoirs reposant sur une structuration très souple. À Liège, on est en pleine découverte.
On voit donc qu’il n’est pas possible de faire du “copier-coller” : les traditions et les modes de financement sont trop différents. Nous ne cherchons donc pas à exporter un modèle, mais bien une idée. Et réciproquement, nous cherchons à nous inspirer d’autres initiatives pour alimenter notre propre modèle.

MSH Liège

« La Maison des sciences de l’homme de Liège est née en 2013 dans un contexte assez différent des MSH françaises », indique d’emblée le Pr Didier Vrancken, à l’initiative de sa création. Rapidement, la MSH de Liège a approfondi la dynamique de dialogue avec la Cité ardente. Elle interpelle le citoyen et favorise l’expertise croisée entre chercheurs et acteurs de la société civile. « Aujourd’hui, précise encore le Pr Vrancken, la MSH s’inscrit clairement dans une perspective de recherche et de plateformes d’échange de savoirs au départ des compétences de l’ULg, le tout dirigé vers la cité. »
Première du genre en Belgique francophone, la MSH de Liège favorise les synergies entre les sciences et la société sur des sujets très divers, qui participent à la compréhension du monde. Elle apporte sa pierre à la diffusion des connaissances et répond aux demandes en organisant des débats et des événements (laboratoires d’expertises croisées avec les Hautes Ecoles, concours citoyens pour le secondaire supérieur, ateliers de co-construction des savoirs avec des collectivités et associations, etc.).
Penser l’espace commun : tel est sans doute le leitmotiv qui anime toutes les rencontres organisées intra et extra muros par la MSH avec de multiples partenaires. Citons entre autres, l’an dernier, les “rendez-vous urbains”, la conférence d’Abnousse Shalmani, la venue de Nicolas Jounin ou le concours “Aux encres citoyens”. « Informer, confronter les idées, déceler les oppositions et éprouver les différends, voilà les objectifs de la MSH », résume Didier Vrancken. Et Rachel Brahy, coordinatrice scientifique de la MSH, de renchérir : « Dialogue, rencontre, échange, citoyenneté et circulation des savoirs sont les maîtres-mots de la MSH et composent aussi la ligne éditoriale d’une collection spécifique, prochainement constituée au sein des Presses universitaires de Liège. »
Avec ses grandes soeurs françaises, la Maison des sciences de l’homme de l’université de Liège partage donc le goût de l’interdisciplinarité, une identité scientifique affirmée et le souci d’une véritable implantation régionale dans une démarche de diffusion des savoirs.

La Maison des sciences de l’homme au carrefour des savoirs. Entre citoyenneté et territoire

Soirée de rentrée de la MSH, le jeudi 1er octobre à 18h30 : table ronde avec la participation des Prs Philippe Vendrix,
Dominique Allart, Didier Vrancken, Jacques Commaille, et Rachel Brahy, animée par Jérôme Jamin.
Salon des lumières, Cité Miroir, place Xavier Neujean, 4000 Liège.

Contacts : inscription souhaitée, tél. 04.366.48.28, courriel msh@ulg.ac.be, site www.msh.ulg.ac.be

Propos recueillis par Patrick Camal
Photos : J.-L. Wertz
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