Janvier 2017 /260
Marc AubinetMis à l’honneur par la Société américaine de météorologie, Marc Aubinet explique la technique
Le 22 janvier prochain, le Pr honoraire Marc Aubinet – Gembloux Agro-Bio Tech – sera mis à l’honneur par la Société américaine de météorologie (AMS) à Seattle, aux États-Unis. Une consécration internationale pour ce physicien plongé de longue date dans un univers de bio-ingénieurs, spécialiste incontournable de l’Eddy-covariance. Le 15e jour du mois : L’Eddy-covariance : un terme un peu mystérieux pour qui n’est pas de votre cercle... Pouvez-vous expliciter sa teneur et son utilité ? Marc Aubinet : Il s’agit d’une technique assez sophistiquée permettant d’étudier les échanges de gaz entre des écosystèmes et l’atmosphère. Elle permet d’effectuer un suivi de ces échanges sur des surfaces de l’ordre de l’hectare, toutes les demi-heures et pendant des années entières. On peut analyser toutes sortes de gaz : la vapeur d’eau, les gaz à effet de serre (CO2, méthane, protoxyde d’azote), les composés organiques volatils, l’ozone, etc. C’est une méthodologie transversale qui a un intérêt évident dans le cadre de la compréhension du réchauffement climatique. Le 15e jour : Ce sont les gaz à effet de serre (GES), et tout particulièrement le CO2 qui ont petit à petit fait de vous le spécialiste que vous êtes. Un de vos articles, paru en 2000, a totalisé 1700 citations dans les ouvrages scientifiques. Quel a été votre cheminement ? M.A. : J’ai commencé à la faculté des Sciences agronomiques de Gembloux en 1984 en encadrant des travaux pratiques, puis en donnant des cours de physique aux bacheliers. En parallèle, j’ai essayé de développer des recherches en physique susceptibles d’intéresser les bio-ingénieurs. C’est ainsi que je me suis intéressé à l’Eddy-covariance. Bien que connue depuis les années 60, cette technique ne s’est véritablement concrétisée que dans les années 90, quand on a pu disposer d’équipements suffisamment fiables et résistants aux intempéries et du matériel informatique adéquat. Le moment- clé, pour ma petite équipe – nous étions deux, mon technicien et moi ! – a été l’année 1996 : j’ai été l’un des premiers à fournir les données collectées sur un écosystème forestier (une parcelle que nous étudions à Vielsalm) au premier réseau européen spécialisé dans l’étude de ces flux, Euroflux. Celles-ci ont été choisies comme données de référence par mes collègues, issus de 16 pays européens. Ils m’ont ensuite confié la rédaction d’un article faisant le point sur l’ensemble de la méthodologie. Paru en 2000, cet article m’a valu les nombreuses citations dont vous parliez et, cet automne, l’annonce de la distinction par l’American Meteorological Society (AMS). Il faut dire qu’entre-temps, j’avais initié et coordonné un ouvrage sur ce même sujet, sorti en 2012 et tout récemment traduit en chinois. Je pense que l’apport essentiel de ces travaux a été de rendre la méthode accessible aux non-spécialistes. En effet, elle est complexe, étant basée sur des mesures instantanées faites tous les dixièmes de seconde. On se retrouve ainsi, toutes les 30 minutes, avec près de 300 000 données à prendre en compte. Un traitement inapproprié risque d’induire de lourdes erreurs et, par exemple, de prendre un puits de carbone pour une source ou inversement. À côté de cela, nous avons mis en place des stations de mesure en sites forestiers et agricoles en Wallonie, pour quantifier le carbone absorbé par les écosystèmes. Le 15e jour : Précisément, que sait-on aujourd’hui du rôle de puits de carbone joué par les différents écosystèmes ? M.A. : Jusqu’au milieu des années 90, la communauté scientifique pensait que le bilan de CO2 des écosystèmes terrestres était à l’équilibre et qu’ils n’intervenaient pas dans le bilan de la planète. Mais cela ne “collait” pas avec les observations atmosphériques. Il a donc fallu mesurer et quantifier les flux de CO2 échangés par les écosystèmes. De là, la création de réseaux de mesure : le réseau européen Euroflux fut le premier, suivi d’une série d’autres établis sur tous les continents. Ce fut, ensuite, le tour du réseau mondial Fluxnet qui compte actuellement 650 sites de mesure par Eddy-covariance. Euroflux, dès le début des années 2000, a montré que, contrairement à ce que l’on croyait, toutes les forêts étaient des puits de carbone. Plus tard, dans le cadre du réseau CarboEurope, nous avons quantifié ces échanges et étendu l’étude à d’autres écosystèmes comme les grandes cultures et les prairies pâturées (à Gembloux Agro-Bio Tech, nous avons mis en place les parcelles expérimentales de Lonzée et Dorinne). Le fait de mesurer en continu et à long terme nous a aussi permis de constater que les puits de carbone sont soumis à une énorme variabilité interannuelle, un phénomène qui reste encore mal compris. En 2003, par exemple, la terrible sécheresse qui a frappé l’Europe a mis en lumière des résultats interpellants : en deux mois, les écosystèmes européens ont relâché dans l’atmosphère le CO2 qu’ils avaient stocké pendant deux à trois années entières. Le 15e jour : Quelles sont les grandes inconnues qui restent en matière de flux de gaz à effet de serre ? M.A. : On sait aujourd’hui que les écosystèmes terrestres réabsorbent plus du quart du CO2 anthropique. De ce fait, on se rend compte qu’il est important de savoir comment ils vont évoluer dans le futur, notamment sous l’action du changement climatique. C’est pourquoi, nous mettons actuellement en place un nouveau réseau européen – ICOS – avec l’objectif de poursuivre le suivi à long terme de ces flux. Autre champ important à investiguer : les autres gaz à effet de serre (N2O, méthane) qui demeurent mal connus mais très importants dans le domaine agricole. Enfin, il reste beaucoup à faire pour comprendre l’impact de la gestion agricole sur les émissions de GES. Nos premiers résultats sont d’ailleurs interpellants. Nous avons par exemple montré, sur le site de Lonzée, que le labour ne s’accompagnait pas d’une émission de CO2 significative. Sur d’autres parcelles, nous avons constaté que des champs travaillés selon une technique de labour réduit émettaient davantage de N2O et de CO2 que des champs similaires labourés en profondeur. Tout cela va à l’encontre des idées reçues. Nous avons aussi montré qu’un élevage intensif de bœufs “Blanc Bleu Belge”, sur une prairie condruzienne, constituait un puits non négligeable de carbone qui contribuait nettement à compenser les émissions liées au reste de l’exploitation. Là aussi, c’est surprenant. En tout cas, cela nuance sérieusement le constat selon lequel les vaches, par leurs émissions de méthane, constituent une “catastrophe écologique” comme certains le prétendent. Il s’agit bien sûr de résultats ponctuels, mais ils permettent de relativiser les choses dans un monde où l’agriculture est souvent pointée du doigt pour son rôle dans les changements climatiques. Ces recherches prennent beaucoup de temps; c’est le prix à payer si elles sont destinées à inspirer les futures politiques de gestion agricole. Le 15e jour : Vous avez plus de 30 ans de recul sur la perception et la réalité du changement climatique. Quelle est votre impression générale ? M.A. : Je ne suis pas optimiste. La planète émet aujourd’hui environ 50% de CO2 de plus que durant les années 80-90 alors que le protocole de Kyoto, en 1997, envisageait une réduction de 5 % des émissions. Pour atteindre les objectifs de la COP21, on parle de diminuer les émissions de GES de serre de 50 %, voire plus. Mais, actuellement, c’est tout le contraire qui se passe : les émissions augmentent chaque année et la croissance de la concentration de CO2 s’accélère. Pour enrayer cette croissance, il va falloir réduire drastiquement notre consommation. Mais quel responsable politique oserait l’affirmer ? Sommes-nous prêts à réduire la diversité de notre alimentation, à nous priver d’une part de notre confort, à ne plus voyager en avion et, cela, sans contrepartie ? Je suis convaincu que le réchauffement climatique exercera bientôt – et exerce déjà – une influence prépondérante sur des phénomènes sociopolitiques et démographiques profonds. Aux réfugiés politiques s’ajoutent déjà des réfugiés climatiques et cette pauvreté croissante est le terreau idéal du terrorisme…
Propos recueillis par Philippe Lamotte
Photos : J.-L. Wertz
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