February 2017 /261

Climat : du savoir à l'action

L'opinion de Noé Lecocq

Mille milliards de tonnes de CO2. C’est la quantité de CO2 que l’humanité peut émettre (à partir de 2011) pour avoir deux chances sur trois de limiter le réchauffement global à 2°C depuis l’ère préindustrielle. Au rythme d’émission actuel, ce “budget carbone” sera épuisé d’ici moins de 20 ans.

Les réserves économiquement exploitables d’énergie fossile (pétrole, gaz, charbon) contiennent entre 3670 et 7100 GtCO2 (chiffres 2011), soit jusqu’à sept fois plus que le budget carbone. Si l’on exploite et brûle un maximum de ces réserves, comme y pousse l’administration Trump notamment, les bouleversements physiques du système climatique seront d’une ampleur que l’humanité aura grand mal à endurer. Migrations à large échelle, conflits, effondrements économiques et sociétaux sont les conséquences attendues de la montée des océans, des sécheresses et des événements climatiques extrêmes entre autres.

Ceux qui travaillent sur l’atteinte des limites planétaires (le climat en est une parmi d’autres) savent qu’un exposé froid et rationnel de la meilleure connaissance disponible ne suffit pas pour stimuler une transformation sociétale. Il est certes difficile de changer un système qui possède sa cohérence interne. Mais au-delà des difficultés techniques, les barrières sociologiques et psychologiques constituent d’importants obstacles à surmonter. Pour Clive Hamilton, professeur d’éthique publique australien, “refuser d’accepter que nous allons affronter un avenir très désagréable devient une attitude perverse. Un tel déni suppose une interprétation délibérément erronée de la science, une vision romantique de la capacité des institutions politiques à agir, ou la croyance en une intervention divine”.

Le déni est une réaction humaine extrêmement banale et naturelle, face à une réalité trop dure pour être acceptée. Dans certaines situations traumatisantes, comme le deuil ou la maladie incurable, le déni peut constituer une protection mentale nécessaire à court terme. Dans le cas des changements climatiques, outre les implications en termes de remise en cause de notre mode de vie, qui ne sont pas minces à accepter, on trouve très couramment chez ceux qui refusent le plus ostensiblement les conclusions de la science un attachement viscéral à une vision idéologique du monde, souvent centrée sur une idéalisation du capitalisme et de la croissance, vision qui serait elle aussi remise en cause par l’acceptation des limites physiques décrites ci-dessus.

LecocqNoeConstruire une réponse adaptée aux enjeux nécessite pourtant un débat sociétal basé sur les faits, même si ceux-ci ne sont pas rassurants. C’est le rôle de chaque citoyen, et certainement de la communauté universitaire, de s’approprier ces questions, affranchies du déni. À ce titre, il faut se réjouir de la décision récente de l’université de Liège de mettre fin à tout investissement direct dans les énergies fossiles. Ne plus soutenir les activités qui mettent en péril l’avenir de l’humanité est une décision cohérente avec la responsabilité de former dès aujourd’hui les générations qui vivront dans un monde fortement impacté par les changements climatiques.

Réduire l’ampleur des secousses à venir, préparer nos sociétés à affronter celles qui ne pourront être évitées, cela nécessite de changer de priorité sociétale : viser la résilience au lieu de la croissance. Ce défi est tellement large qu’il concerne tous les domaines où l’expertise universitaire existe. L’Université, tant par son activité intellectuelle que par sa valeur d’exemple, a un rôle fondamental à jouer.

Noé Lecocq (alumni, master en physique, 2000)
chargé de mission “énergie-climat” à Inter-Environnement Wallonie

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