June 2017 /265
Boustro aux quatre ventsUne revue poétique et plastique
Le quatuor liégeois animant les ateliers “Poésie Pur Porc”, Laurent Danloy, Pascal Leclercq, Paul Mahoux et Karel Logist (poète et par ailleurs documentaliste à la bibliothèque Graulich de l’ULg), récidive avec la quatrième livraison de Boustro, un authentique ORNI (Objet revuistique non identifié) aussi appréciable sur la forme que sur le fond. La quatrième livraison de Boustro, revue liégeoise de création poétique et plastique, confirme les qualités déjà présentes dès son numéro un – originalité de ton, haute exigence littéraire, audace typographique – mais tisse cette fois un maillage qui dépasse largement nos frontières. Les poètes rassemblés dans ces deux cahiers élégants, qu’encadre un cartonnage pincé, sont en effet entrés en contact et en langue à la faveur du Festival international de poésie de Granada, au Nicaragua, en février 2016. Karel Logist (© Serge Delaive) Le lecteur peut croire sur parole le passage du colophon où sont évoquées les “heures fraternelles” si intensément partagées par ces femmes et ces hommes, venus qui d’Allemagne ou de Finlande, qui du Costa Rica ou de Serbie, auxquels s’adjoignent un Principortain, un Dublinois, une Italienne... En géographie poétique, aucune carte n’est muette, voilà pourquoi il se dessine ici, bien plus qu’un réseau, une constellation de voix. Dans Boustro, l’écriture ne reste jamais lettre morte, elle s’apparenterait plutôt à la chorégraphie des moustiques décrite avec subtilité par Jan Wagner : “la pierre de rosette, sans la pierre”… La nature est présente dans maints textes, bien qu’il ne s’agisse jamais de la magnifier “à la romantique”, mais de l’éprouver en conscience et sensualité. « Quand la forêt est défeuillée, on dirait la chevelure d’une trépassée dans un caniveau », assène Riina Katajavuori en incipit de ses autoportraits, avant de se retirer dans un cabanon lointain, là où a eu lieu le Big bang. Stéphane Martelly renchérit en évoquant « une mort si secrète que nul n’en tenait compte ». Il use pour ce faire d’une fable – car est-il un genre plus approprié pour aborder avec légèreté la gravité de nos vies ? Luis Chacon Ortiz préfère poser sur l’existence un regard ironique (sans amertume) et détaché (sans cynisme) : on le vérifiera avec son savoureux Ma grand-mère n’a jamais lu Cavàfis, manière de dégringolade drolatique vers le caveau, empreinte d’un réalisme magique typiquement sud-américain. S’il a réservé ses penchants subversifs aux ateliers de la “Poésie Pur Porc”, le Letton Kārlis Vērdiņš soutient quant à lui avec placidité : « Sinon je suis un gars comme il faut, je donne le coup de main à tout le monde, je préserve la planète des araignées mauvaises, j’apprends à ne pas exister si ce n’est pas nécessaire ». Les mots gigotent, voyagent, s’échappent : impossible de coincer ceux d’Alan Jude Moore (traduits par Christine Pagnoulle) quand il se lance à la recherche du dénommé Che Burashka à Saint-Petersbourg. Sa quête, menée sur un rythme beat generation, donne lieu à une énumération déjantée d’objets et d’échoppes, avant de prendre brusquement la tangente vers des lieux aussi improbables, le musée des Beaux-Arts de Chicago ou “les bouges à bibine d’Al Capone”. L’encanaillement atteint son comble avec les extraits des Anotaciones à la Banana Republica de Marcel Jaentschke, oscillant entre communauté du Christ Rédempteur et trafic de dope, dans une Managua où il y a autant de gens accros aux drogues qu’“à vendre de la drogue”. Sous l’œil du poète, fidèles et “cokés” se confondent. « Je les ai vus ainsi planer dans l’obscurité, éclairant tout de leurs néfastes crêtes de feu, existant à travers le rugissement de leurs motos qui circulent dans ces rues comme une supernova dans l’espace ; je les ai vus. » Boustro ? Une revue de Voyants venus des quatre vents, qui vont vous en mettre plein la vue. Et la cécité de l’époque fait un pas en arrière…
Frédéric Saenen, chargé d’enseignement à l’ISLV
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