Octobre 2017 /267
Bilan et perspectivesLa Conférence mondiale des Humanités
Quelle suite après la Conférence mondiale des Humanités qui eut lieu à Liège au mois d’août ? Entretien avec Jean Winand, qui en fut le coprésident du comité scientifique. Le 15e jour du mois : Quel bilan tirez-vous de la Conférence mondiale des Humanités ? Jean Winand : Une réelle satisfaction. Placée sous l’égide de l’Unesco et minutieusement préparée grâce à la logistique de la Province et de l’Université, elle a compté 1200 inscrits, ce qui n’est pas rien alors que nous étions au milieu des vacances. La couverture médiatique était bien assurée, tant en presse écrite, que radio et TV. La page Facebook de la Conférence a été régulièrement alimentée toute la semaine par des interviews réalisées sur place. Notons aussi la présence de médias chinois : elle s’explique par le fait que l’événement a bénéficié de sponsors et que l’actuel président du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines (CIPSH) est un Chinois. À cela s’ajoute le fait que la Chine souhaite vivement organiser la prochaine édition de la Conférence mondiale. Le 15e jour : Celle qui vient de se dérouler à Liège a-t-elle débouché sur des résolutions ? J.W. : Oui, la Conférence a accouché d’un document final, dénommé “Un nouvel agenda pour les humanités au XXIe siècle” mais ses nombreuses résolutions n’auront de valeur qu’après avoir été présentées à l’Assemblée générale de l’Unesco, à Paris, où elles devraient être ratifiées, les 14 et 15 novembre prochains. Le 15e jour : Quels sont les thèmes qui ont le plus retenu votre attention lors de la Conférence ? J.W. : Je retiendrai ici deux points : la nécessité de défendre les sciences humaines et l’emploi des langues. La conférence plénière prononcée par Kumie Inose, vice-présidente du Conseil scientifique du Japon, a très clairement montré que la place des sciences humaines dans l’enseignement supérieur était parfois contestée. Dans un monde régi par les lois de la guerre économique où il importe d’aligner des divisions d’ingénieurs, de managers et de commerciaux, les sciences humaines apparaissent aux yeux de certains gouvernements comme un luxe bien inutile. Or, à côté de la formation des diplômés de haut niveau dont la société a besoin et d’un engagement fort dans la recherche fondamentale de pointe, les universités doivent aussi être des lieux où s’exerce pleinement la liberté de penser. Et l’histoire est là pour nous rappeler que le pouvoir politique, dans des régimes bien peu démocratiques, a régulièrement cherché à contrôler les universités, en particulier dans les secteurs où l’on agite les idées, c’est-à-dire les sciences humaines. La Conférence a aussi été un forum sur l’emploi des langues dans les matières scientifiques. Le sujet était particulièrement sensible pour les délégués venus d’Afrique, où les langues pratiquées dans l’enseignement supérieur sont issues de la colonisation (anglais, français, portugais). Il y a donc de la part des Africains une revendication à voir reconnues les langues locales au même titre que les grandes langues internationales. Au fond, le problème posé par l’Afrique n’est peut-être pas tellement différent de celui qui se pose à l’Europe où les langues locales sont concurrencées en deuxième et troisième cycles de l’enseignement par l’anglais. Il y a donc un enjeu majeur, bien cerné par la Conférence, à maintenir un multilinguisme vigoureux, sous peine de voir s’imposer le globish, cet idiome à base d’anglais qui sert les besoins de communication immédiats et qui n’est en définitive la langue de personne en tant qu’outil culturel. Le 15e jour : Indépendamment de ce problème de dénomination, quelle est selon vous la place de ces sciences humaines dans une formation universitaire ? J.W. : Elle est essentielle. En forçant un peu le trait, je dirais qu’elles constituent l’essence de l’université. C’est ma ferme conviction que toute dévalorisation de la place des sciences humaines dans la structure des universités, toute réduction de leur rôle dans les formations, quelle que soit la discipline, donc aussi dans les sciences exactes, conduisent à quitter, à proprement parler, le champ de l’université pour entrer dans celui d’une école technique. Face aux défis colossaux posés par l’évolution du monde contemporain, par l’extraordinaire développement des technologies qui remettent profondément en cause nos modèles sociaux, il serait catastrophique que la seule réponse possible soit la recherche du bien-être économique, même s’il faut évidemment s’assurer d’un niveau de base. Mais s’en tenir à cela ne serait au mieux qu’un cache-sexe servant à masquer des réalités plus complexes et plus essentielles. La seule réponse adéquate se trouve dans la compréhension, dans l’intelligence du monde où nous vivons, ce qui passe par la culture, une culture profonde, nourrie de son épaisseur historique, une culture multilingue, une culture qui se préoccupe de ses sources, qui les approfondit, pour mieux les comprendre et ainsi comprendre son présent et envisager son futur. Une culture donc pleinement informée, et qui ne peut l’être que par l’apport irremplaçable des sciences humaines.
Propos recueillis par Henri Deleersnijder
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