November 2017 /268
La propriétéVers une réforme du Livre II du Code civil
A défaut de passionner les foules, le droit des biens peut se prévaloir de concerner chacun d’entre nous, estime la Pr Pascale Lecocq, titulaire de la Chaire Francqui au titre belge à la KU Leuven pour l’année 2016-2017. « Faire évoluer le droit des biens n’est pas aussi facile que de faire évoluer le droit des personnes. Le mariage pour tous, l’IVG, l’euthanasie sont des sujets qui touchent l’humain, dans son corps et dans son cœur, et qui provoquent assez vite un débat sociétal engendrant des réformes au sein même du Code civil. Le droit des obligations, lui, a été jusqu’ici souvent nuancé et complété par des lois spécifiques en marge dudit Code. Le droit des biens est, légistiquement parlant, le moins touché de tous ! Il concerne pourtant tout le monde, que l’on soit propriétaire de biens meubles ou immeubles », explique l’ancien doyen de la faculté de Droit, Science politique et Criminologie. Pour cette spécialiste, il était donc grand temps de mettre sur la table une réforme du Livre II du Code civil, un projet auquel elle s’est attelée à la demande du ministre de la Justice, avec le Pr Vincent Sagaert, et qui devrait être soumis à la consultation publique d’ici la fin de l’année. « Il faut aller dans le sens d’une modernisation, d’une flexibilisation, mais aussi d’une systématisation et d’une fonctionnalisation. » UN INVARIANT EN ÉVOLUTIONIntitulée “Heurs et malheurs de la propriété immobilière : entre constance et mutation”, la leçon inaugurale que Pascale Lecocq a donnée à la KU Leuven a montré combien cette matière avait été soumise au cours de l’histoire à de multiples va-et-vient. « La propriété est une pierre angulaire des sociétés : en tous temps, en tous lieux, on s’en préoccupe. Mais de façon concomitante, elle se transforme au gré des besoins de la société qu’elle doit servir. Dans le droit romain, à une certaine époque du moins, une propriété fut individuelle et exclusive. À l’époque féodale, elle connaît un terrible éclatement. Avec le Code civil de 1804 et l’affirmation révolutionnaire de l’égalité entre les hommes, la propriété (re)devient une et unique, absolue, exclusive et perpétuelle. À l’aube de ce troisième millénaire, la pression démographique et la raréfaction de certaines ressources, notamment, conduisent à de nouvelles évolutions », explique la Pr Lecocq. Ces mutations sont sous-tendues par trois mouvements : la socialisation, la systématisation et l’abstraction. La socialisation vise à trouver un juste équilibre entre les droits du propriétaire et l’intérêt général. La copropriété par appartements, qui concerne un grand nombre de Belges et fait aujourd’hui l’objet d’un possible avant-projet de loi spécifique, est emblématique de cet enjeu. La systématisation consiste, quant à elle, à assurer l’articulation entre les différents instruments juridiques et leur adaptation aux besoins contemporains. « La propriété doit être articulée à ses satellites que sont les droits réels d’usage sur la propriété d’un autre. Lorsque l’on est propriétaire d’une maison ou d’un terrain, il peut se faire que quelqu’un ait un droit d’usufruit ou d’emphytéose sur cette propriété, ou encore une servitude : il faut veiller à ce que ce droit s’articule convenablement avec les autres droits d’usage éventuellement concédés sur ledit bien, mais aussi avec la propriété, au risque, à défaut, d’entrer dans des conflits permanents », poursuit Pascale Lecocq. En matière d’usufruit, la nécessité d’une adaptation aux besoins contemporains se fait cruellement sentir. Le Code contient en effet de multiples articles relatifs aux arbres, particulièrement détaillés, alors que ce droit est aujourd’hui essentiellement utilisé pour la succession du conjoint survivant et porte souvent sur la résidence commune de la famille. « Du fait de cette utilisation successorale, l’usufruit porte d’ailleurs sur toute espèce de biens : fonds de commerce, portefeuille d’actions mobilières, actions de société, etc. Or, aujourd’hui, le Code civil ne dit rien, ou quasi, de ces usufruits sur les objets spécifiques ! » RÉALITÉ TRIDIMENSIONNELLEEnfin, l’abstraction concerne tout le droit des biens. On cite, au rang des choses incorporelles, les créations de l’esprit, les logiciels, les quotas d’émissions de CO2, l’image d’un bien ou d’une personne… « Toutes ces choses ne se saisissent pas de la main. Même en matière de propriété immobilière, les évolutions des techniques amènent à envisager la propriété dans sa réalité tridimensionnelle. Un sol et des volumes d’espace, en dessus comme en dessous, au sens de contenants et non de contenus : telle est la propriété immobilière dans son absoluité. » Chacun de ces trois mouvements, alimentant la réforme en cours, fera l’objet d’une conférence de la Pr Pascale Lecocq à la KU Leuven. « La Chaire Francqui s’inscrit dans le projet de réforme et, en retour, la réforme alimente la réflexion et la diffusion de ces éléments, car elle m’oblige à avoir une vision à la fois plus englobante et plus affinée de toutes les parties du droit des biens », conclut-elle.
Julie Luong
Photo : ULiège - Michel Houet
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants
|