Novembre 2017 /268

Sartre en radio

Pensée en mouvement

Qu’est-ce que Jean-Paul Sartre fait à la radio ? Et qu’est-ce que la radio fait à Jean-Paul Sartre ? La plupart des études sur les écrits du philosophe n’accordent qu’une place limitée au mouvement d’une pensée élaborée en radio, engagée et dansant avec son époque et avec ses contradictions. C’est ce caractère “vivant” de l’héritage de Sartre que Grégory Cormann (philosophie) et Jeremy Hamers (arts et sciences de la communication) vont circonscrire le mardi 21 novembre lors d’une soirée hybride durant laquelle alterneront prises de parole et diffusions d’extraits sonores datant de 1946 à 1973*. Un angle original pour réincarner et dépasser le mythe.

SartreL’un spécialiste de Sartre, l’autre travaillant sur ces matériaux non fictionnels, Grégory Cormann et Jeremy Hamers se penchent sur un aspect peu exploré du travail du célèbre philosophe : ses interventions orales enregistrées (radio et conférences, principalement). Peu étudiées, elles ont systématiquement été assimilées à ses textes consacrés et n’ont jamais été considérées pour elles-mêmes. « Nous cherchons à dépasser cette vision en retournant à la matérialité même d’une voix, d’un discours, d’un rythme, d’un débit de parole qui font la spécificité de ces interventions », intervient Jeremy Hamers.

La démarche pourrait paraître prosaïque. Pourquoi s’intéresser aux aspects radiophoniques plutôt qu’aux théories d’un des philosophes les plus importants du XXe siècle ? C’est justement tout l’enjeu de la démarche. « Là où l’activité médiatique d’autres philosophes et écrivains n’a jamais été niée, celle de Sartre l’a été par effet de monumentalisation, commente Grégory Cormann. D’une certaine manière, c’est comme s’il n’avait jamais fait d’émissions de radio. Il ne reste de Sartre que des “gros” livres. Nous voulons aller contre cette image d’un Sartre statufié, érigé comme “le” philosophe français idéal. » Car la radio a bel et bien contribué au façonnement et à la diffusions de sa pensée ainsi que de son engagement politique. « Sartre, qui a toujours essayé de penser en situation, dans des conjonctures historiques déterminées, en dialoguant avec ses contemporains, se trouve détaché de ces moments où, justement, il n’était plus le grand philosophe, mais quelqu’un qui s’adressait de façon singulière à un interlocuteur, avec un objectif précis », poursuit Grégory Cormann.

Retourner au grain de la voix, à la manière de jouer avec l’intervieweur ou le public, à ce qui incarne l’instant où un philosophe déploie oralement sa pensée en jouant des spécificités propres de l’outil radiophonique, voilà donc le pari qui traverse cette approche. « S’attarder sur ces moments et lutter contre la muséification de Sartre, c’est aussi une façon de voir ce qu’il a à nous dire aujourd’hui, conclut Jeremy Hamers. Cela semble paradoxal. On pourrait affirmer qu’ancrer sa pensée revient à l’historiciser. Nous sommes persuadés du contraire. Précisément parce que la caractérisation de cet ancrage permet de lutter contre un Sartre momifié. »


* L’événement s’intègre au séminaire de l’UR Traverses, sur “La condition documentaire”.

Sartre en radio

Le mardi 21 novembre à 18h, département de philosophie, bât. A1 (3e étage), place du 20-Août 7, 4000 Liège.

* www.web.philo.ulg.ac.be/traverses/

Philippe Lecrenier
Illustration : Julien Ortega y Uribe-Echevarria
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