Novembre 2017 /268
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Christina Schmidt

L’influence de la sieste sur nos capacités cognitives

Chercheuse qualifiée frs-FNRS au Centre de recherches du cyclotron (GIGA-CRC in Vivo Imaging) et à l’unité de recherche PsyNCog, Christina Schmidt vient de recevoir du Conseil européen de la recherche un ERC Starting Grant pour étudier la sieste et son influence sur nos capacités cognitives. S’adonner à la sieste pourrait s’avérer moins bon qu’on ne l’imagine !

Le 15e jour du mois : La chronobiologie semble avoir le vent en poupe : l’Europe consacre vos recherches et le prix Nobel de médecine a été attribué à trois spécialistes du rythme circadien…

SchmidtChristinaChristina Schmidt : J’ai été très contente lorsque j’ai appris la décision de l’Académie Nobel. Hall, Rosbash et Young, les lauréats, ont été récompensés pour leurs études sur les mécanismes moléculaires qui sont à la base du fonctionnement de notre horloge biologique. Sans la connaissance de ces mécanismes, les hypothèses que nous formulons dans nos recherches ne seraient pas testables. C’est aussi une reconnaissance de l’importance des rythmes. Adaptés à l’alternance jour-nuit qui règne sur Terre, ils sont présents à tous les niveaux de l’organisme : non seulement l’être humain dans son ensemble y est soumis mais aussi les gènes, les molécules, les cellules. Les rythmes circadiens sont impliqués dans la régénérescence cellulaire, et l’expression génétique suit un rythme de 24 heures  !

Toute une série d’horloges différentes sont donc à l’œuvre dans notre organisme. Pour les coordonner, il faut un chef d’orchestre : ce sont les noyaux suprachiasmatiques situés dans notre cerveau au niveau de l’hypothalamus. Ces noyaux suprachiasmatiques sont en contact direct avec nos yeux. L’information lumineuse leur est transférée et ce sont eux qui “disent” à notre organisme s’il fait jour ou nuit. Suite à cela, notre horloge biologique nous invite à dormir quand il fait noir et à rester éveillés pendant la journée. Sans cette information, notre rythmicité circadienne ne serait pas synchronisée à ce rythme de jour-nuit. Notre organisme possède donc sa propre rythmicité endogène mais elle doit être synchronisée sur les conditions externes, comme la présence ou non de lumière.

Malheureusement, dans la recherche sur le sommeil, ce rythme veille-sommeil est encore sous-estimé. On a tendance à investiguer le sommeil de façon isolée, sans l’envisager comme faisant partie d’un rythme veille-sommeil.

Le 15e jour : On devine donc que la sieste doit être un élément perturbateur puisque sa pratique implique de dormir quand il fait jour !

C.S. : Le projet retenu par le Conseil européen de la recherche est basé sur une approche globale du sommeil. J’avance que “dormir, c’est bien, mais il faut le faire au bon moment de la journée !” C’est-à-dire au moment où notre rythme circadien nous le dicte. D’où mon questionnement sur la pratique de la sieste chronique, c’est-à-dire courante, pratiquement quotidienne.

Le fait de faire des siestes chroniques est un phénomène qui augmente au cours du vieillissement. C’est aussi une époque de la vie où on remarque que la stabilité du cycle veille-sommeil est plus fragile. C’est probablement dû au fait que l’amplitude du rythme circadien a diminué. Ceci pourrait être problématique, car non seulement cela va à l’encontre de la rythmicité circadienne mais cela va aussi entraver la structure, la qualité du sommeil de la nuit. En outre, ce comportement peut faire entrer dans une sorte de cercle vicieux : il est le reflet d’un système plus fragile, mais il va le fragiliser aussi. C’est dans ce contexte-là que le projet postule que faire la sieste peut représenter “une sorte de contre-indication”.

Le 15e jour : La pratique de la sieste pourrait donc fragiliser notre horloge biologique. Cela a-t-il aussi des conséquences sur les performances cognitives ?

C.S. : Des résultats préliminaires suggèrent effectivement que, chez des personnes âgées notamment, plus un individu est capable de calquer son rythme de sommeil sur celui de l’alternance jour-nuit, plus ses performances cognitives sont bonnes. C’est le cas notamment pour la mémoire de travail que j’ai investiguée.

Ce qui rend le projet intéressant, c’est que, vu le vieillissement de la population, beaucoup de stratégies de prévention sont déjà déployées pour, par exemple, réduire les risques cardiovasculaires, etc. Mais il n’y a pas que le corps qui est affecté par le vieillissement : la cognition aussi. La question est : à quoi cela sert-il d’être en pleine forme physique jusqu’à 90 ans si on ne l’est pas au niveau cognitif ? Il faut trouver des moyens pour que la qualité de vie d’une personne vieillissante soit assurée au niveau physique et cognitif et, selon moi, le sommeil est un plan d’action intéressant pour agir sur la cognition. En plus, nous pensons pouvoir agir sur la qualité du sommeil de manière non pharmacologique.

Le 15e jour : Comment allez-vous procéder en pratique ?

C.S. : Le programme de recherche a une durée de cinq ans. Le but est de recruter une population représentative de personnes entre 60 et 80 ans qui ont l’habitude de faire une sieste de manière chronique, au moins trois fois par semaine pendant une heure, et de les comparer à des personnes qui ne font pas la sieste. Au total, l’échantillon comportera 120 individus. Les participants seront tout d’abord convoqués pour une investigation poussée de leur rythme circadien. Pour cela, ils devront rester au laboratoire pendant 40 heures afin de déterminer leur rythme chronobiologique à partir d’analyses d’échantillons de salive ; il nous faudra en effet mesurer leur taux de mélatonine, une hormone considérée comme un marqueur du rythme circadien.

En outre, pendant les 40 heures de test, les participants seront soumis à dix siestes au total. Il sera ainsi possible de quantifier la propension d’une personne à dormir de jour et de nuit. La comparaison entre les deux groupes (siestes et pas siestes) se fera ensuite à trois niveaux : leur cognition, leur cerveau et leur rythme circadien. Mais cela n’est pas suffisant. En effet, même si, éventuellement, on remarque des différences en fonction de l’adoption ou non d’un comportement de sieste, on ne peut en déduire une causalité. Dans une deuxième étape, nous suivrons donc pendant un an les personnes qui font la sieste de manière chronique et mettrons en place une intervention pour supprimer la sieste !

Après cette année-là, les personnes vont revenir au laboratoire pour mesurer leurs performances cognitives et leur rythme circadien et voir si celui-ci est plus stable. Je ne dis pas que nous aurons ainsi dégagé un lien indubitable de cause à effet, mais on s’en approchera. Je pense que c’est ce qui rend le projet fort et a probablement contribué à séduire les responsables du Conseil européen de la recherche.


Toute personne intéressée par une participation à ce projet ou une étude sur le sommeil ou encore le vieillissement cognitif de façon générale est invitée à contacter l’équipe de recherche via l’adresse agitude@ulg.ac.be (objet : COGNAP).

Propos recueillis par Henri Dupuis
Photos : J.-L. Wertz
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