Le 15e jour du mois
December 2007 /169

Fr.Provenzano : le choix de publier

Open Access et études littéraires


Provozano corrié
François Provenzano

Depuis une décennie, les ressources numériques ont fait une irruption remarquée dans l’activité du chercheur. L’Open Access, en particulier, définit un nouveau mode de diffusion des productions scientifiques, porté originellement par l’idéal d’un partage gratuit des connaissances, au-delà des contraintes économiques imposées par les structures éditoriales traditionnelles. Plusieurs institutions universitaires, l’ULg en tête, ont bien saisi l’opportunité que représentait l’arrivée de ces nouveaux supports pour optimiser leur visibilité sur ce qui est désormais considéré comme le marché académique international. Dans cette perspective, elles mènent une intense politique de promotion de l’Open Access, ou archivage numérique, ouvert et généralisé des travaux de leurs chercheurs.

Peut-on se contenter de cette lecture ? Archaïsme et conservatisme sont-ils réellement les deux qualifications les plus appropriées pour définir la situation des disciplines de lettres ? Le succès d’un site tel que Fabula qui combine sur internet les fonctions de diffusion de productions scientifiques, de partage d’informations et de veille disciplinaire pour tous les chercheurs en littérature, ne démontre-t-il pas que ceux-ci ne sont en rien rétifs au support numérique en soi, mais qu’ils sont soucieux d’en tirer le meilleur parti pour répondre aux enjeux qui concernent spécifiquement leur pratique scientifique ? Quels sont ces enjeux, aujourd’hui, et comment aident-ils à comprendre le rôle que peut jouer internet dans la recherche littéraire ?

L’Open Access est souvent présenté comme l’instrument d’une lutte à mener, au nom des intérêts scientifiques, contre la toute-puissance des intérêts économiques. En obligeant les littéraires à prendre position face à cette alternative, on les contraint à renoncer à une dimension fondamentale de leur pratique, guère lisible en fonction de l’opposition entre savoir et argent : la dimension symbolique, qui concerne, pour le dire simplement, la valeur sociale accordée aux objets et discours culturels. C’est précisément sur ce terrain symbolique que la recherche littéraire trouve son sens : par exemple, éditer une histoire de la littérature belge est à considérer, à l’heure actuelle, comme un geste politique à haute valeur symbolique. Pour lui conserver sa charge politique, il faut qu’il puisse ne pas être réduit à un commentaire qui, même si produit dans le strict respect des intérêts scientifiques, sera purement gratuit, désincarné, coupé du tissu social où prend corps sa dimension symbolique.

Or les lieux d’édition et de diffusion légitimes et reconnus – encore du symbolique – jouent un rôle essentiel dans la reconnaissance sociale de ces pratiques de recherche. En publiant dans telle maison, dans telle collection, le chercheur s’inscrit dans un catalogue, dans une tradition critique, voire dans une filiation méthodologique repérables. Ce paratexte éditorial connote immanquablement le contenu scientifique publié et participe à la construction de son sens social. Dès lors, jouer la carte de l’Open Access contre ces instances éditoriales serait mener un faux combat. Plutôt que de servir à éliminer les alliés objectifs du chercheur en littérature soucieux d’inscrire sa pratique dans les structures d’une société, l’Open Access peut constituer un outil complémentaire, et non pas rival, dans ce travail de (re)configuration symbolique permanente qu’est la recherche en littérature. Plutôt que d’être réduit au rôle de pur vecteur scientifique contre les intérêts économiques, l’Open Access peut contribuer, conjointement aux structures éditoriales traditionnelles, à préserver la portée nécessairement sociale des productions scientifiques sur la culture.

Et qui mieux que le chercheur en littérature lui-même peut saisir l’intérêt de ces nouveaux modes de diffusion pour sa propre pratique ? Qui mieux que lui encore peut trouver la meilleure combinaison possible entre les différents médias qui s’offrent à lui pour faire circuler ses travaux ? Si les priorités des sciences dites “dures” consistent à préserver la sphère scientifique d’une ingérence de l’économique, en recherche littéraire, cette lutte pour l’autonomie prend une autre forme. En voulant, au nom de la révolution numérique, renforcer le lien d’appartenance de tous les chercheurs à leur institution académique et uniformiser leurs pratiques, ne risque-t-on pas de dévoyer cette révolution de son projet original : accroître la liberté de pensée et d’action par le partage non contraint des savoirs produits ?

François Provenzano
aspirant FNRS au département de langues et littératures françaises et romanes de l’ULg

http://www.fabula.org

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