Septembre 2010 /196
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Ergonomie : concilier l’humain et la technique

NyssenAnneSophieAnne-Sophie Nyssen est professeur au laboratoire d'ergonomie cognitive et intervention du travail (Lecit). Le 45e congrès de la Société d'ergonomie de langue française (Self) se tiendra à Liège, en l'honneur du Pr Véronique de Keyser, pionnière de l'ergonomie en Belgique.

La société d'ergonomie de langue française fondée en 1963 s'est, depuis sa création, fait connaître par ses congrès annuels dont le but est de promouvoir la recherche, la pratique et l'enseignement de l'ergonomie.

Qu'est-ce que l'ergonomie ? Il s'agit de la discipline qui s'occupe de la compréhension des interactions entre les hommes et les autres éléments d'un système dans la perspective d'une meilleure adaptation des outils, du milieu, de l'organisation aux personnes. Dans les années 1960, cette discipline s'occupait principalement des conditions de travail susceptibles de provoquer des souffrances physiques telles que l'épicondylite ou les maux de dos. Des efforts considérables ont été réalisés depuis lors dans les entreprises pour offrir aux ouvriers et aux employés des équipements mieux adaptés à leurs activités. Depuis 50 ans cependant, le travail dans nos sociétés occidentales a considérablement évolué : les nouvelles technologies se sont imposées, transformant en profondeur le travail et mettant l'accent sur le rôle de "superviseur" de l'homme dans de nombreux domaines comme l'aviation, le nucléaire, l'anesthésie, etc.

Sur le plan de la recherche, une nouvelle discipline est née: l'ergonomie cognitive. Elle étudie les interactions avec les nouveaux outils et environnements complexes qui sollicitent les fonctions mentales (attention, mémoire, prise de décision, etc.).

Un domaine de réflexion fait de plus en plus appel à l'ergonomie dans ce contexte : la sécurité des grands systèmes. Les spécialistes considèrent par exemple que 80% des accidents d'avion sont dus à des "erreurs humaines". Cela ne signifie pas forcément qu'il y a une faute de pilotage : un défaut dans la conception ou l'entretien de l'avion, une défaillance des ordinateurs de bord peuvent aussi favoriser l'erreur humaine et contribuer à l'accident. Et depuis quelques années, les chercheurs s'intéressent aux dysfonctionnements de l'organisation du travail et à celle de l'entreprise elle-même.

Dans cette perspective, plusieurs travaux sur les erreurs humaines ont été menés, notamment à l'université de Liège à l'initiative de Véronique de Keyser. Alors qu'elle accède à l'éméritat, c'est donc tout naturellement que le congrès de la Self se tiendra en son honneur à Liège, du 13 au 15 septembre prochains.

Le 15e jour du mois : Quel est l'objectif des ergonomes ?

Anne-Sophie Nyssen : Les ergonomes contribuent à la conception et à l'évaluation des conditions de travail, des tâches et des produits pour améliorer la santé, la fiabilité et la sécurité des personnes dans leurs activités.

Les conséquences de certaines erreurs humaines dans notre société moderne conduisent inévitablement à s'interroger sur leurs conditions d'occurrence et sur leur origine. Comment éviter qu'elles ne se reproduisent, et surtout qu'elles ne se transforment en catastrophes ? L'erreur humaine peut être considérée comme un révélateur de l'état de santé d'un système. Observer et étudier l'enchaînement des processus mis en œuvre au cours d'une tâche nous permet d'identifier les points faibles d'une organisation du travail et de proposer des pistes d'action.

Prenons l'exemple de l'anesthésie que nous avons beaucoup étudiée. Ce domaine médical a connu des progrès considérables au cours de ces dernières années. Mais des accidents surviennent parfois. A l'analyse, nous avons montré que des erreurs se produisent plus fréquemment lorsque les médecins se trouvent au milieu de leur formation. Exactement comme dans le domaine de l'aviation : les accidents augmentent quand les pilotes sont au mitan de leur cursus, à un moment où leur niveau de confiance en eux s'accroît et où l'institution commence également à leur confier de l'autonomie et des responsabilités importantes.

Fort de ces résultats de recherche, le chef de service a repensé l'organisation du travail et a instauré des réunions de sécurité au cours desquelles les incidents ou les accidents sont discutés en équipe, la majorité des médecins ayant en effet exprimé le besoin de parler, d'échanger dans ces cas de figure. D'autres établissements de soins nous demandent aujourd'hui de faire de même sur leur site.

Le 15e jour : Quel sera le thème du congrès ?

A-S.N. : En 1987, Véronique de Keyser avait organisé le 23e congrès de la Self sur le thème de "l'ergonomie de la conception". Cette fois, en résonance avec nos recherches sur la fiabilité humaine dans les systèmes complexes, nous avons choisi de centrer les travaux sur les notions de "Fiabilité, résilience et adaptation".

En physique, le terme de "résilience" explique la résistance des matériaux aux chocs. La notion est également utilisée en psychologie clinique et a été popularisée par Boris Cyrulnik pour qui elle caractérise la capacité de certaines personnes de se reconstruire après un traumatisme destructeur. Aujourd'hui, on évoque ce concept pour étudier comment certains systèmes sociaux ont non seulement résisté à une crise - financière par exemple - mais l'ont utilisée pour "rebondir".

Peut-on identifier la capacité de résilience d'un système ? Quel rapport y-a-t-il entre adaptation et résilience, entre fiabilité et résilience ? Comment l'ergonome peut-il susciter des comportements adaptatifs et résilients ? C'est autour de ces questions, notamment, que plusieurs chercheurs de renommé internationale - René Amalberti, François Daniellou, Jean-Michel Loc, Erik Hollnagel, Jean Pariès et David Woods - viendront débattre.

Le 15e jour : L'une des sessions sera consacrée à la résilience et aux nouvelles technologies ?

A-S.N. : Effectivement. L'informatique et la robotique transforment les conditions de travail. Nous avons pu montrer, par exemple, comment l'utilisation du robot en salle d'opération peut diminuer la "situation awareness" ou la conscience de la situation en isolant le chirurgien de l'équipe et peut, par conséquent, créer des conditions défavorables à la sécurité.

Les nouvelles technologies peuvent avoir, de fait, des effets pervers. Elles accélèrent le rythme du travail, déchargent le travailleur de certaines tâches, améliorent l'efficacité du système mais créent en même temps de nouvelles contraintes - un rythme de travail toujours plus rapide -, des nouvelles demandes et une adaptation permanente. L'ordinateur, d'abord outil de travail, s'immisce aussi dans la sphère du privé; les frontières entre le travail et le privé deviennent de plus en plus floues, ce qui peut créer des tensions au sein de la famille ou au bureau, générer de la souffrance et des problèmes d'épuisement dont tout le monde parle. Il s'agit pour nous, ergonomes, de chercher à comprendre ces interactions entre l'homme et son travail pour mieux concevoir les systèmes et - pourquoi pas? - y (re)-mettre du plaisir.

Propos recueillis par Patricia Janssens - Photo : J.L. Wertz

Fiabilité, résilience et adaptation
45e congrès de la Société d'ergonomie de langue française.
Les 13, 14 et 15 septembre, au Palais des congrès, esplanade de l'Europe, 4020 Liège.
Contacts : tél. 04.366.20.13, courriel self2010@ulg.ac.be,
programme sur le site www.ergonomie-self.org

 

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