Mars 2012 /212
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Les Initiatives populaires de solidarité internationale

PirotteGautierProfesseur de socio-anthropologie du développement au sein de l’Institut des sciences humaines et sociales (ISHS), Gautier Pirotte s’intéresse aux enjeux et aux acteurs de la coopération internationale.

En plus du master en sciences de la population et du développement, l’IS HS propose un Certificat interuniversitaire en coopération et développement international (Cidci). Dispensé en “horaire décalé”, ce certificat attire beaucoup de personnes déjà insérées dans de petits projets de coopération. Bien conscientes cependant qu’intervenir dans le champ de la coopération ne s’improvise pas, elles viennent ainsi acquérir les compétences utiles pour mener à bien des activités d’aide internationale.

En 2009-2010, l’équipe du Pr Pirotte (en collaboration avec la KUL ) a réalisé une enquête à la demande de l’ONG Volens sur les “nouveaux” groupes de solidarité qui émergent dans le champ du développement : les petites “associations de solidarité internationale” au sens large. Depuis lors, Julie Godin mène une recherche doctorale sur le sujet, soutenue par le FNRS au sein de l’UL g. Au printemps 2010, un groupe de réflexion fut mis sur pied entre les universités de Paris I, Nimègue, Leuven et Liège afin de cerner un peu mieux cette dynamique. Baptisées ici – hypothèse de travail – les “Initiatives populaires de solidarité internationale” (Ipsi), elles seront au coeur d’une journée d’étude le 20 avril prochain. A l’heure où la Belgique mais aussi l’Europe, l’ONU et l’OCDE plaident pour une coopération mieux ciblée, plus professionnelle, que faut-il penser de cette forme d’aide en faveur des pays en développement ?

 

 

Le 15e jour du mois : Comment définissez-vous les Ipsi ?

Gautier Pirotte : Par rapport aux Organisations non gouvernementales (ONG) bien connues (Oxfam, MSF, les Iles de Paix, Action Damien, SOS Faim, Autre Terre, etc.), les Ipsi sont souvent de taille plus modeste mais sont aussi beaucoup plus nombreuses. Pas moins de 117 ONG sont reconnues par l’autorité publique belge qui leur octroie des subsides, alors que l’on a dénombré 620 Ipsi en Wallonie en 2010.
Une grande partie d’entre elles ont été créées dans les années 1990 mais le mouvement s’est encore intensifié à partir de l’an 2000, peut-être grâce à internet et aux réseaux sociaux qui sensibilisent à large échelle et mobilisent facilement.

Les Ipsi sont de petites structures qui mènent des actions de solidarité internationale, portées par l’engagement principalement bénévole d’une poignée d’individus ; ce sont des associations aux moyens humains et financiers souvent limités. Très souvent, c’est une expérience concrète et personnelle qui déclenche l’envie de venir en aide aux populations défavorisées. Notre enquête montre que ce sont plutôt des hommes qui s’inscrivent dans la démarche des Ipsi et que la moyenne d’âge la mieux représentée est celle des 55-64 ans. 88% des membres, par ailleurs, ont une formation supérieure ou universitaire : on peut parler d’un mouvement de cols blancs. On note aussi la présence régulière de migrants dans ces structures.

En termes de ressources financières, les Ipsi fonctionnent essentiellement sur fonds propres et une majorité d’initiatives se structurent rapidement en ASBL ou AISBL, composées de bénévoles. Ces initiatives se distinguent surtout par leur capacité à mobiliser rapidement des fonds, des vivres, du matériel à l’échelon local d’une commune, d’un quartier et à les acheminer le plus directement possible aux populations bénéficiaires, en réduisant au maximum les coûts de gestion de cette aide.

Le 15e jour : Quelles missions se donnent-elles ?

G.P. : Si les Ipsi manquent de financement structurels – ce qui limite leurs moyens d’action –, elles s’enorgueillissent par contre de contacts directs, privés, parfois assez anciens dans des pays d’Afrique centrale et de l’Ouest, principalement (République démocratique du Congo, Burundi, Rwanda, Sénégal, Burkina Faso, etc.) mais aussi dans des contrées asiatiques ou d’Amérique latine. Leur aide est principalement financière : elles récoltent des fonds ici pour des partenaires qui gèrent leur projet sur place. Elles participent à des projets touchant au domaine de l’éducation (construire des écoles, aménager des cantines) et de la santé (aménagement de salles d’hôpital, achat de matériel, etc.). Leurs activités rejoignent dans ce sens le domaine d’intervention de l’aide publique au développement.

Certes, les moyens mis en oeuvre sont réduits et les projets menés souvent de plus petite envergure. Mais les Ipsi fondent souvent la légitimité et l’efficacité de leur action sur cette idée d’un lien direct avec les bénéficiaires de l’aide en cherchant à ce que chaque euro récolté soit attribué aux populations locales.

Le 15e jour : Peut-on dire que cette aide au développement diffère de celle apportée par les ONG ?

G.P. : Oui et non. Sur le plan des activités, il me semble que les objectifs sont les mêmes : favoriser la scolarité des enfants, développer les structures d’enseignement, participer à l’amélioration des conditions sanitaires, apporter des vêtements ou des vivres, etc. Mais la méthode diffère fondamentalement puisqu’il s’agit pour les Ipsi de nouer des contacts personnels avec leurs partenaires. En cela, elles tranchent parfois avec l’approche professionnelle prônée par les ONG et les autorités publiques. Les fondateurs des Ipsi souhaitent, face à l’approche gestionnaire (et bureaucratique) de l’aide orchestrée par l’Aide publique au développement (APD) et les ONG , replacer l’humain au coeur des préoccupations. Cette attitude bouscule un peu les acteurs officiels de la coopération internationale. Faut-il encadrer ces Ipsi ? Et dans l’affirmative, comment faire puisqu’elles ne sont pas subsidiées de manière récurrente ? A quel titre les contrôler dans la mesure où ce sont des initiatives privées ?

Pour ma part, il me paraît utile d’observer cette forme d’aide qui connaît un certain essor, attire des gens qualifiés et recentre l’activité sur une aide bilatérale. Il me semble opportun d’analyser comment ces structures peuvent s’intégrer dans un secteur d’activités soumis à des injonctions de plus en plus fortes quant à l’efficacité de l’aide internationale et à la professionnalisation des acteurs. A l’heure des “Documents stratégiques de réduction de la pauvreté”, quels enseignements tirer de ces Ipsi ? Quelle plus-value apportent-elles à la coopération et au développement ?

Propos recueillis par Patricia Janssens
Photo : Hélène Erpicum

Les Initiatives populaires de solidarité internationale (Ipsi)

Quelle plus-value pour la coopération au développement ?

Journée d’étude organisée par le service de socio-anthropologie du développement, le vendredi 20 avril, de 9 à 17h, à l’amphithéâtre Marx, faculté de Droit (bât. B31), Sart-Tilman, 4000 Liège.

Contacts : tél. 04.366.52.69, courriel julie.godin@ulg.ac.be, site www.ishs.ulg.ac.be

 

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