The Grandmaster

Un film de Wong Kar-Wai (2013)
Avec Tony Leung Chiu Wai, Chen Chang, Ziyi Zhang, Jin Zhang
A voir aux cinémas Le Parc, Churchill et Sauvenière

Attendu depuis plusieurs années par les admirateurs de son oeuvre autant que par les détracteurs potentiels tenus en embuscade depuis ses incursions au-delà de la muraille américaine, Wong Kar-Wai, auteur du remarqué In the mood for love, revient à la réalisation avec The Grandmaster, grande fresque historique tournant autour de la tradition chinoise du kung-fu dans un grand vertige grisant dont on ne peut ressortir sans quelques courbatures. Présenté en ouverture de la Berlinale 2013, le film présente des traits biographiques, intriquant la petite histoire dans la grande, du parcours d’Yip Man (déjà à l’honneur dans le Ip Man de Wilson Yip en 2008), célèbre maître du wing chun et professeur d’un certain Bruce Lee, à celui de la Chine, disloquée par l’occupation japonaise et les conséquences de la guerre civile.

Des aveux du réalisateur lui-même, ce retour en grandes pompes devrait marquer un tournant dans sa filmographie ; quoi qu’on en pense, ce virage se manifestera en tout cas dans la file des attentes de spectateurs chérissant jusqu’alors son travail. La patte, elle, est toujours là, dans tout l’éclat de sa puissance : les jeux sur la forme restent sans conteste la face immuable de son oeuvre. L’esthète renommé ne déroge pas ici aux règles qu’il s’est imposées, tel un maître d’arts martiaux détenteur d’un code pur et pris au corps à corps avec le spirituel ; quel meilleur sujet pour susciter une telle harmonie entre les formes entrant alors en résonance ? Les éléments naturels, déchaînés ou en retenue, et la progression des saisons coïncident avec le jeu des reflets, du ralenti et du gros plan dans la même célébration du mouvement et du temps qui le suspend.

Si les amateurs du genre pourraient être surpris de se retrouver moins face à un film d’arts martiaux à l’action trépidante que devant une grande fresque historique articulée autour de différentes écoles et figures de la discipline, ils pourraient tout autant s’étonner de trouver dans les moments de combat la même intensité que dans le ballet chorégraphié de ces grandes destinées. Quelques plans de héros posant face à l’objectif se transformant progressivement en photographies d’époque prennent le cachet de l’archive à mesure qu’elles virent au noir et blanc ; l’ambition de réaliser le grand portrait de la Chine (après avoir fait d’Hong Kong le lieu privilégié de ses films précédents), de l’âge d’or de ses arts martiaux à la dissolution progressive de sa plus grande tradition, est alors tout à fait perceptible, grâce à l’évocation de quelques tentatives occidentales teintées d’une même introspection grandiloquente. Tenté de puiser à la fois dans le retour à l’héritage spirituel asiatique comme dans les références américaines et européennes notamment (pour preuve ces emprunts musicaux à Morricone), The Grandmaster fait la jonction entre plusieurs modes de narration, au détriment parfois d’une certaine lisibilité (et ce, malgré le remontage d’une version internationale plus en phase avec des référents communs) et d’une certaine longueur. Film monumental, résultat de grands travaux, l’oeuvre de Wong Kar-Wai se reçoit comme elle est venue, depuis les fondations : dans la durée et son éclatement.

Renaud Grigoletto

Si vous voulez remporter une des dix places (une par personne) mises en jeu par Le 15e jour du mois et l’ASBL Les Grignoux, il vous suffit de téléphoner au 04.366.52.18, le mercredi 22 mai de 10 à 10h30, et de répondre à la question suivante : avec The Grandmaster, Wong Kar-Wai prolonge une collaboration de longue date avec son acteur fétiche Tony Leung. Combien de films au total ont-ils tourné ensemble ?