Mai 2013 /224

Quand le campus virtuel se mue en agence matrimoniale

Spotted" 21 février, environ 18h, cafète HEC : au bout de quelques minutes tu repères mes regards. On en échange. Malheureusement tu dois partir, je n’ai pu t’aborder. C’est la première fois que je te vois à HEC. Pas la dernière je le souhaite. Je ne connais rien de toi à part ton sourire, la beauté et la gentillesse que tu portes sur ton visage aux cheveux châtains. Tu as un mini-ordinateur portable blanc avec une housse rouge, tu buvais dans une grande bouteille d’eau. Peu d’infos sur toi mais grandes envies d’avoir ton nom pour pouvoir te revoir... ”

Bouteille à l’amour

Comme une bouteille jetée aux flots de l’amour, le message posté sur Facebook finit par venir cogner sa destinataire inconnue : “Manu G. c’est de toi cette blague?” L’intéressé dément, qui précise que le message semble de toute évidence trop sérieux. Reste que l’objectif du Pygmalion virtuel est atteint. Car en publiant ce message sous son profil identitaire sous le couvert de l’humour, l’étudiante accorte laisse la possibilité à son véritable amoureux anonyme de la contacter. Et, en marge des railleries subséquentes sur les parties publiques du réseau social, les deux langoureux n’ont plus qu’à s’adonner tranquillement au flirt… en message privé.

Voici expliqué – en un exemple réel – le principe des communautés “Spotted” en rapport avec la population estudiantine de l’UL g, qui ont fleuri sur Facebook ces derniers mois. Ingé ULg, 20-Août, HEC-ULg, archi, cafète ULg, campus ULg, commu ULg, psycho, médecine et même droit-science po. Il n’y a guère que les sciences ou l’éducation physique qui semblent avoir été – jusqu’à présent – épargnées par le phénomène.

Le mot anglais spotted, qui a émergé dans la sphère médiatique en introduisant chaque monologue d’une célèbre blogueuse de la série américaine Gossip Girl, signifie “repéré”. Sur le plus important réseau social mondial, les pages “Spotted” sont consacrées aux amoureux qui ne parviennent pas à déclarer leur flamme en vrai à une personne qu’ils ont parfois simplement croisée sur leur campus. Il leur suffit de lui dédier un texte ou un poème sur la page “spotted” du lieu de la rencontre et, pour conserver leur anonymat, d’envoyer leur déclaration au modérateur de la page qui la publiera lui-même. D’abord prospère aux Etats-Unis, le phénomène a touché nos voisins hollandais, avant de faire florès en France et en Belgique où son essor a été favorisé par le contexte de la session d’examens de janvier durant laquelle les étudiants sont prompts à se ruer sur la moindre distraction.

Mais, comme tout bon phénomène universitaire exposé à l’espièglerie immanente, les intrications de messages ont rapidement été noyautées par les plaisantins. « Par exemple, un garçon qui publie un message pour faire croire à l’un de ses amis qu’une fille a flashé sur lui, commente Fatih Erden, étudiant de 2e bachelier en sciences économiques et de gestion et créateur de la page “Spotted Hec-ULg”, qui compte environ 700 fans. Mais si c’est parfois pour rigoler, je reçois approximativement 40% de messages sérieux. » Sans compter que, pour certains des 60% restants, l’humour s’avère également être une façon d’oser investir la sphère de la séduction en limitant les risques. « Jouer la carte de l’humour est également une façon de reprendre de la distance par rapport à une thématique qui a tout de même été placée. D’autant que la séduction passe rarement par la tristesse. Et, que je sache, on ne parle tout de même pas, dans ces groupes, de la nourriture des restaurants universitaires !, s’amuse Jean-Marie Gauthier, professeur de psychologie de l’adolescent et de l’enfant à la faculté de Psychologie et des Sciences de l’éduction. Et puis, les étudiants ont aussi besoin de montrer leur présence dans un lieu et de pouvoir affirmer qu’ils y étaient en tant que personne qui n’était pas forcément inintéressée de séduire. »

A cet égard, l’anthropologue Chris Paulis se plaît d’ailleurs à distinguer les comportements des garçons et des filles, ces dernières ne se raccrochant plus exclusivement au modèle social ancien du couple fidèle et durable. « De leur part, on lit généralement des messages plus directs du style “j’ai été épaté par ton beau petit cul dans ton jeans moulant…”. Elles sont parfois même assez crues. Cela leur permet de tester leur degré de séduction et d’informer la gent masculine de ce qu’elles aiment. Les garçons situent, eux, davantage un contexte : “J’ai fait ça, j’ai dit ça, j’étais derrière toi, j’avais un copain idiot”… » Car, malgré les évolutions sociales, les garçons ont toujours l’apanage du processus de séduction officiel. Et internet leur offre une seconde chance lorsqu’ils n’ont pas osé – par timidité ou par “effet de testostérone” – montrer leur intérêt, devant leurs amis, pour une fille qui ne correspond pas forcément aux critères de beauté véhiculés au sein du groupe. Une théorie que confirme Fatiah Erden, l’échotier de HEC-ULg : « Les filles sont plus longuement descriptives là où les mecs se montrent plus romantiques… et font beaucoup plus de fautes d’orthographe. Mais je pense que, pour épater les premières, c’est ça qu’il faut. Et puis un garçon qui écrit directement qu’une fille a un beau cul passe pour pervers. Alors que la posture inverse ne dérange pas et prête même à sourire. »

L’arme ultime

Reste à voir si, à l’approche de la session de juin, le succès des pages “Spotted”, qui s’est un peu essoufflé après l’effet de la nouveauté, rebondira. Son attrait viendra aussi peut-être de la possibilité d’annoncer la perte d’objets dans les amphithéâtres, que certains administrateurs publient volontiers. Et pour ceux qui hésiteraient à oser la drague, aux dires de Chris Paulis, « il y aura toujours plus de filles qui réagiront aux propos des garçons, malgré les fautes d’orthographe et même si ça sent la drague à plein nez. On rigole, oui. Mais, derrière, on retrouve la surenchère, le fait d’avoir le plus de messages ou les plus drôles. Il importe juste de ne pas être blessant. » En un mot : la séduction.

Fabrice Terlonge

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