Mai 2013 /224
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Combattre les idées reçues autour de l’abeille

NguyenBachKimDu 2 au 5 juin prochains, Bruxelles et Gembloux bourdonneront autour de la ruche et de ses occupantes. Organisée par le Parlement européen, la “Semaine européenne de l’abeille” verra, en effet, Gembloux Agro-Bio Tech aux commandes d’un symposium international d’une nature inédite, complété d’une action de sensibilisation destinée au grand public. Rencontre avec Bach Kim Nguyen, spécialiste du petit hyménoptère, fondateur de Beeodiversity, assistant pédagogique à l’unité d’entomologie fonctionnelle et évolutive de Gembloux Agro-Bio Tech (université de Liège) et cheville ouvrière de cette double manifestation.

Le 15e jour du mois : Pourquoi parler à nouveau de l’abeille qui, depuis quelque temps, n’a jamais bénéficié d’un tel mouvement de sympathie du public ?

Bach Kim Nguyen : Parce qu’il est temps de passer d’une phase de
sensibilisation/éducation à celle de l’action. Certes, les efforts récents
– je pense notamment au plan Maya en région wallonne et au “plan
abeilles” en 30 points de l’administration fédérale – constituent des
pas importants en termes de conscientisation du public. Mais, si l’on
veut vraiment rendre service à l’abeille, il faut impérativement passer
à une action qui fasse fi d’une série de considérations scientifiquement
biaisées. Deux exemples. Aux Etats-Unis, on parle beaucoup du
syndrome d’effondrement des colonies (le Colony Collapse Disorder)
qui voit les ruches se vider assez brutalement de leurs occupants et péricliter jusqu’à leur mort. Or ce syndrome n’intervient qu’à raison de 4 % dans une mortalité qui, au total, touche 28 à 30 % des ruches ! Chez nous, particulièrement en Wallonie, le biomonitoring démontre que, contrairement à ce qu’on lit et entend un peu partout, ce syndrome de désertion des ruches ne représente finalement qu’un très faible pourcentage des colonies qui meurent. En réalité, pas moins de 48 symptômes ont été recensés autour de la mortalité des abeilles. Si on se focalise sur tel ou tel aspect, tel ou tel symptôme, on rate la cible. La mortalité des abeilles est un phénomène multifactoriel, dont les explications diffèrent non seulement selon les continents et les pays, mais aussi à l’intérieur d’une même région. Dans ce sens, je dirais que l’abeille – en tant qu’emblème – est son propre ennemi : chacun l’utilise pour la défense d’une cause, la suppression des pesticides, la défense de la biodiversité, la pollinisation, etc. Ces considérations sont certes primordiales, mais il est temps de remettre l’abeille au centre des débats, de s’en inquiéter pour elle-même.

Le 15e jour : Quelle est la spécificité des journées organisées à Bruxelles et à Gembloux ?

B.K.N. : Le symposium s’adresse au grand public. Les scientifiques qui y prendront la parole – en anglais, mais avec traduction française simultanée – représentent quasiment le monde entier : Europe, Amérique du Nord et du Sud, Asie, Afrique. Ils comptent parmi les plus éminents experts de la mortalité des abeilles, mais ils ont également été choisis pour leurs facultés de vulgarisation. Il leur a été demandé de faire l’état des lieux de la mortalité dans leurs continents respectifs à partir des faits, donc sans polémique. Ils commenteront également les inconnues qui subsistent, par exemple le rôle des pesticides dits “néonicotinoïdes” dont la suspension des agréations fait actuellement débat en Europe. A ce sujet, le directeur de l’unité pesticides de l’autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) sera présent le 4 juin à Gembloux et expliquera comment interpréter les récents avis de son agence. Les 2 et 3 juin, le village de l’abeille, au pied du Parlement de Bruxelles, s’adressera tout particulièrement au grand public, avec des panneaux didactiques et un concours de dessins pour enfants de 5e et 6e primaires. Le 5, toujours au Parlement, un résumé de la journée scientifique du 4 sera remis aux eurodéputés. Au moins trois Etats membres présenteront ce qui est mis en place dans leurs pays respectifs. Ensuite, les scientifiques donneront des pistes de remédiation pour l’ensemble de l’Union européenne. Au total, je dirais que ces journées constituent une opportunité unique d’avoir, chez nous, le résumé des connaissances mondiales sur la mortalité et la pollinisation par les abeilles grâce au travail du réseau “Coloss” (Prevention of honey bee Colony Losses), lequel regroupe plus de 300 chercheurs travaillant dans 62 pays.

Le 15e jour : L’abeille se porte mal, soit. Mais peut-on être plus précis sur ce constat ? Est-ce vraiment le cas partout dans le monde ?

B.K.N. : Le problème est mondial, cela ne fait aucun doute. Mais les causes diffèrent fortement d’une zone à l’autre. En Belgique, les premières inquiétudes remontent à 1999, où l’on a commencé à constater une mortalité anormalement élevée. Depuis 2005, elle a quasiment doublé, passant de 17 à 29 %. Et c’est sans compter les nombreuses ruches non enregistrées... Dans 90 % des cas, la mortalité est un phénomène hivernal. C’est assez logique : pendant près de six mois, les abeilles restent cloîtrées dans un environnement – la ruche – concentrant tous les problèmes auxquels elles sont confrontées pendant le reste de l’année. L’impact des pesticides, certes (on en a retrouvé jusqu’à 18 dans certaines ruches !), mais aussi les agressions des parasites, virus et bactéries indésirables, de même qu’une nourriture présente en trop petites quantités, liées à des biotopes trop pauvres constituent les principales causes de mortalité. D’une façon générale cependant, chez nous comme dans la majorité des régions du monde, les scientifiques pointent en tout premier lieu l’impact du varroa, un acarien qui cause de gros préjudices à l’abeille. Arrivé d’Asie par inadvertance, il a commencé à se disséminer en Belgique dès 1984. Certains apiculteurs continuent de sous-estimer son rôle délétère.

Pour bien situer les choses, comparons-les : c’est un peu comme si, proportionnellement, cinq animaux de la taille d’un “lapin carnivore” s’appliquaient à vider un homme de son sang et, de surcroît, à lui inoculer différents virus! Les produits de traitement anti-varroase, créant un phénomène de résistance chez l’acarien, ont peu à peu perdu de leur efficacité. Les apiculteurs, fort démunis, se sont alors tournés vers d’autres molécules actives qui, au fil des années, se sont également révélées inopérantes et/ou interdites par la législation. Aujourd’hui, le seul produit autorisé chez nous – le Thymovar – n’est efficace, au mieux, que dans 70 % des cas. Mais le problème fondamental est ici : même efficace, le produit retenu doit impérativement s’utiliser au sein d’une stratégie. L’utiliser en fin de saison ne sert qu’à protéger le miel, mais ne rend pas service à l’abeille à long terme. Pour bien l’employer, il faut à la fois comprendre l’abeille et son parasite. Or cette connaissance a tendance à s’étioler dans un paysage apicole qui compte 99 % d’amateurs, certes passionnés mais pas toujours bien informés. Dans un contexte où le nombre de ruches a diminué de moitié en quelques années (de 14 à 7 ruches par apiculteur), la préoccupation du rendement peut conduire à des erreurs ou des excès. De plus, pour que la stratégie de lutte contre la varroase et d’autres maladies (la loque américaine, etc.) puisse aboutir, il faut jouer sur une certaine forme de solidarité entre apiculteurs : rien ne sert de brûler les ruches contaminées (une obligation légale) si, à quelques centaines de mètres, subsistent des ruches non-déclarées…

Propos recueillis par Philippe Lamotte

Voir la vidéo sur  UlgTV-Logo  Vid-Abeilles

Semaine européenne de l’abeille et de la pollinisation

Du 2 au 5 juin à Bruxelles, au Parlement européen.
Symposium international à Gembloux Agro-Bio Tech (ULg), le mardi 4 juin à partir de 13h.
Suite du symposium à Bruxelles, le mercredi 5 juin à 13h.

Informations sur le site www.beeweek2013.eu

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