Septembre 2013 /226

Mortelle traversée

Les dauphins, sentinelles de la pollution au Brésil

DauphinAutopsieDestination touristique de choix dans l’esprit des Européens, le Brésil connaît aussi un important développement industriel. Et qui dit industrialisation dit malheureusement aussi pollution. La région du sud-est du pays est particulièrement touchée à cet égard. C’est là que se trouve notamment la ville de Rio de Janeiro, sur les rives de l’immense et paradisiaque baie de Guanabara. Contrairement à l’apparence, cette baie est loin d’être idyllique pour tout le monde, notamment au vu de sa forte pollution. La petite population de dauphins de Guyane (Sotalia guianensis) qui y réside en fait les frais. C’est ce que démontrent Krishna Das et Gauthier Eppe, chercheurs au Centre de recherche analytique et technologique (Cart) de l’ULg, et Paulo Dorneles (université fédérale de Rio de Janeiro, professeur invité à l’ULg à partir de janvier 2014) dans un article qui sera prochainement publié – mais déjà disponible en ligne – dans la revue Science of The Total Environment*.

Bioaccumulation

«L’ensemble des polluants d’origine terrestre résultant de l’industrialisation de la région se retrouve dans le milieu marin», constate Krishna Das, chercheur qualifié FRS-FNRS au laboratoire d’océanologie – Centre Mare de l’ULg. «Les cétacés occupent la position la plus élevée au niveau de la chaîne alimentaire et accumulent donc ces polluants», poursuit la scientifique. Dans le cadre d’une collaboration entre l’ULg et différentes équipes de recherche brésiliennes, les scientifiques ont tenté de savoir ce qu’il en était pour les dauphins de la baie de Guanabara et de ses environs. «Nous avons cherché la présence de polychlorobiphényls (PCBs), de polychlorodibenzo-p-dioxines (PCDDs) et de polychlorodibenzo-furanes (PCDFs) chez le dauphin de Guyane, le sténo et le pseudorque», indique Krishna Das. La première espèce est côtière tandis que les deux autres vivent plutôt dans les eaux du large.

« De manière générale, ces polluants affectent le système immunitaire, le système endocrinien, le système nerveux et, pour couronner le tout, ils sont également cancérigènes, poursuit la chercheuse. Chez les mammifères marins, les effets suspectés sont principalement l’immunosuppression, laquelle a notamment des répercussions sur le système endocrinien. » Les scientifiques pensent, par exemple, que le faible taux de reproduction des dauphins de Guyane de la baie de Guanabara est très probablement lié à la présence de grandes concentrations de polluants dans ces eaux. Ces effets sont également constatés chez les hommes et de plus en plus d’études démontrent l’impact des PCBs sur les dérèglements métaboliques et fonctionnels associés à l’obésité.

Une contamination record

DasKrishna-150Les échantillons de lard et de foie sur lesquels ont travaillé les trois chercheurs ont été prélevés, selon des protocoles internationaux, sur des animaux échoués ou capturés accidentellement dans des filets de pêche. «Je me souviens que lorsque Paulo est arrivé avec les échantillons au Cart, ces derniers étaient tellement infectés qu’on avait peur qu’ils contaminent tout le système», rappelle la chercheuse. Et pour cause : les résultats ont montré que ces échantillons prélevés sur des dauphins de la baie de Guanabara contiennent des concentrations en PCBs les plus élevées au monde !

Si ce constat concernant ces mammifères marins est triste, il est surtout inquiétant : qu’en est-il de la santé des 12 millions d’hommes, femmes et enfants qui vivent sur les rives de cette baie et se nourrissent de poissons ? Dans un futur proche, les chercheurs entendent poursuivre leurs investigations en analysant la contamination des poissons de la baie ainsi que l’exportation des polluants via les déplacements des poissons.

* Dorneles PR, Sanz P, Eppe G, Azevedo AF, Bertozzi CP, Martínez MA, Secchi ER, Barbosa LA, Cremer M, Alonso MB, Torres JP, Lailson-Brito J, Malm O, Eljarrat E, Barceló D, Das K.. High accumulation of PCDD, PCDF, and PCB congeners in marine mammals from Brazil: A serious PCB problem. Science of The Total Environment. Volumes 463–464, 1 October 2013.

Audrey Binet
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