Septembre 2013 /226

Traits de personnalité

L’anosognosie, un symptôme complexe

JedidiHarounOn sait qu’une détection précoce de la maladie d’Alzheimer améliore le pronostic fonctionnel. En effet, une intervention rapide permet de mieux adapter l’environnement aux difficultés toujours croissantes rencontrées par le patient et d’optimiser son attitude et celle de ses proches devant l’évolution de sa maladie. Lorsqu’un patient n’a pas conscience de ses déficits (qu’ils soient physiques ou cognitifs) ou n’en possède qu’une conscience limitée, on parle d’anosognosie. Ce phénomène se rencontre assez fréquemment au cours des démences, mais aussi dans d’autres pathologies. « Les mécanismes qui sous-tendent l’apparition de l’anosognosie sont encore imparfaitement connus, indique Haroun Jedidi, assistant en neurologie au CHU de Liège et aspirant FNRS. In fine, la composante majeure de l’anosognosie est une altération de la fonction cognitive la plus élaborée : la conscience de soi. »

A géométrie variable

On considère généralement que la fréquence de l’anosognosie dans la maladie d’Alzheimer se situe aux alentours de 10 à 15% des cas au début de l’affection et gravite autour de 40 à 50% dans les stades plus sévères. Loin d’être un symptôme manichéen, l’anosognosie peut varier dans son intensité : on parlera ainsi d’anosognosie complète ou partielle. Sa présence est de nature non seulement à compliquer la prise en charge des patients, mais également à mettre en jeu leur propre sécurité et celle de leurs proches.

Quoiqu’ils aient été au coeur de nombreux travaux, les mécanismes de l’anosognosie portant sur les troubles cognitifs et mnésiques (mémoire) demeurent encore mal connus. N’ayant guère été étudiés, les mécanismes de l’anosognosie relative aux modifications des traits de personnalité sont encore moins bien connus. C’est à ce dernier type d’anosognosie que s’est intéressé Haroun Jedidi dans sa thèse de doctorat intitulée “Mécanismes de l’anosognosie : une étude sémiologique et par imagerie fonctionnelle”.

Haroun Jedidi et Arnaud D’Argembeau, neuropsychologue à l’ULg et chercheur qualifié FRS-FNRS, réalisèrent une première étude en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) chez des sujets jeunes sur l’évaluation cognitive des traits de personnalité. Les résultats de cette recherche tendent à suggérer que l’activité du cortex préfrontal dorsomédial est corrélée avec une évaluation cognitive des traits de personnalité, c’est-à-dire avec la certitude de posséder ou non tel trait de personnalité, et que le cortex préfrontal ventromédial semble intervenir dans une évaluation plus émotionnelle – l’importance pour le sujet d’être titulaire ou non d’un trait de personnalité donné.

Perspective à la troisième personne

Fort de ces résultats, Haroun Jedidi s’est alors intéressé à l’anosognosie portant sur les modifications des traits de personnalité chez les patients Alzheimer. À travers une étude* regroupant des sujets âgés sains et des patients souffrant d’une maladie d’Alzheimer débutante, il mit en évidence que, sur le plan comportemental, les scores d’anosognosie étaient significativement “perturbés” chez les patients Alzheimer par rapport à ceux des volontaires sains. Il en était de même des scores de prise de perspective à la troisième personne, cette faculté d’évaluer son propre comportement du point de vue d’une autre personne. Exemple : « Pour ma femme, je suis quelqu’un de colérique. » De surcroît, il apparaît que l’altération de la prise de perspective à la troisième personne permettrait d’expliquer en grande partie l’anosognosie portant sur les traits de personnalité chez les patients.

S’appuyant sur ces données, Haroun Jedidi a ensuite établi une corrélation entre l’anosognosie des patients Alzheimer et leur métabolisme cérébral enregistré par pet-scan. Elle révéla un hypométabolisme au niveau du cortex préfrontal dorsomédial. « Notre étude suggère que ce dernier joue probablement un rôle dans les mécanismes de prise de perspective », commente le neurologue.

* Une troisième étude, que nous n’exposerons pas ici, avait trait à une patiente Alzheimer présentant un syndrome de Capgras, syndrome au cours duquel les patients pensent que l’un ou plusieurs de leurs proches ont été remplacés par des sosies.

Philippe Lambert
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