Octobre 2013 /227

Que sais-je ?

Les hiéroglyphes de A à Z

Hieroglyphes-2Les hiéroglyphes fascinent l’Occident depuis très longtemps. Investis de mystères ésotériques, ils n’ont commencé à livrer leurs secrets qu’en 1822, avec le déchiffrement de la pierre de Rosette par Champollion. Dans un Que sais-je ? intitulé Les Hiéroglyphes égyptiens*, le Pr Jean Winand, égyptologue et doyen de la faculté de Philosophie et Lettres de l’ULg, revient sur l’un des plus anciens systèmes d’écriture de l’histoire. Il y dépeint les différentes écritures égyptiennes, décortique et replace le système hiéroglyphique dans une perspective historique, analyse l’évolution de sa réception en Europe et termine en s’interrogeant sur la genèse de notre système alphabétique, où l’on entrevoit une filiation indirecte avec les hiéroglyphes.

Aux origines de l’écriture

WinandJeanJean Winand ne cherche pas à savoir à quelle civilisation revient la primauté dans l’invention de l’écriture. C’est un débat un peu dépassé. « Il n’y a pas un seul berceau de l’écriture comme il y aurait un seul berceau de l’humanité. On peut imaginer qu’à un certain degré de civilisation, différents peuples aient indépendamment ressenti le besoin de développer l’écriture », observe-t-il. Ce qui l’intéresse, au-delà du fonctionnement linguistique du système, c’est de voir à quel moment les Egyptiens ont inventé une écriture permettant de rendre compte d’un fait particulier ou de retransmettre l’oralité. Outre des scènes de triomphe de rois individualisés, l’égyptologue s’attarde sur la récente découverte d’une tombe près d’Abydos (3300 avant notre ère). 200 étiquettes d’os et d’ivoire y ont été retrouvées. Sur certaines figurent un signe calibré ainsi que des symboles lisibles selon les codes des hiéroglyphes. Associés, ils peuvent, en suivant le principe du rébus, servir à noter des mots. Ces fouilles récentes ont permis d’établir que la civilisation égyptienne a adopté, il y a plus de 5000 ans, un système d’écriture qui alliait des valeurs idéographiques et phonétiques, autorisant ainsi la fixation de concepts abstraits et de l’oralité.

Le système hiéroglyphique perdure jusqu’au IVe siècle de notre ère. Il s’affine, se développe, évolue, permet l’écriture de textes plus complexes mais ne change jamais fondamentalement, oscillant toujours entre l’image et le mot. Car les hiéroglyphes endossent différentes fonctions : c’est leur place dans le mot qui donne leur fonction aux signes. Il y a tout d’abord les logogrammes, qui ont à la fois une valeur sémantique et une valeur phonétique. Les phonogrammes, eux, n’ont aucune valeur sémantique, mais sont strictement phonétiques. Et enfin, il y a les classificateurs dépourvus de valeur phonétique, mais qui permettent de contraindre le champ sémantique d’un mot. Précisons que, suivant le classificateur, un même mot peut désigner des choses parfois fort différentes.

Dans l’ombre des hiéroglyphes, des systèmes plus simples se développent. Le hiératique d’abord, forme cursive du hiéroglyphe et base de l’enseignement des scribes, les hiéroglyphes étant réservés à une élite. Le hiératique est plus rapide à écrire (tachygraphie) et sert d’abord pour les usages courants. Au VIe siècle av.n.è., le hiératique, qui restera en usage, donne naissance à une forme encore plus éloignée de l’aspect iconique du hiéroglyphe, à savoir le démotique. Ce dernier laissera ensuite la place au copte, adapté de l’alphabet grec, que les Egyptiens adopteront à la fin de l’Antiquité.

Le premier système alphabétique serait apparu vers -1800. Une main-d’oeuvre étrangère exploitée par les Egyptiens dans la région du Sinaï se serait réapproprié une série de hiéroglyphes en leur donnant une valeur phonétique se référant à leur langue. Quelques siècles plus tard, la déliquescence de l’Empire égyptien aurait permis à d’autres civilisations d’émerger, lesquelles, percevant l’intérêt d’utiliser ce système simple, l’auraient peaufiné, ce qui donnera naissance à l’alphabet phénicien qui, modifié par les Grecs, est à la base des cararctères latins ainsi que du cyrillique par exemple.

L’Egypte antique, elle, n’a jamais développé un système strictement alphabétique. Pourtant, dès le début, une liste restreinte de signes sont investis d’une valeur phonétique susceptible de rendre l’ensemble des phonèmes consonantiques de la langue égyptienne. Malgré tout, les Egyptiens, comme les Chinois ou les Japonais aujourd’hui, ont gardé un système composite : l’image est liée à la réalité qu’elle représente, aux yeux des Égyptiens. Ce système a d’ailleurs un avantage par rapport au système alphabétique. « L’icône renvoie à un concept que l’on reconnaît, explique Jean Winand. Elle ajoute une dimension supplémentaire à l’information strictement phonétique. »

Hieroglyphes-1Un système imbriqué dans la culture égyptienne

Ainsi, les hiéroglyphes s’inscrivent dans un entendement plus large que celui de nos alphabets, et c’est ce qu’ils ont de fascinant. Car, en déchiffrant l’écriture, c’est la culture, la civilisation égyptienne qui apparaissent. « Si l’on écrit “PARIS” en remplaçant la lettre “A” par une représentation de la Tour Eiffel, le mot se lira toujours “PARIS”. Mais, visuellement, cette modification apportera une nouvelle dimension au mot. L’écriture hiéroglyphique permet ce type d’opération, quasiment à l’infini », conclut l’égyptologue de l’ULg.

 

Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Société/histoire)

* Jean Winand, Les hiéroglyphes égyptiens, Presses Universitaires de France, coll. “Que sais-je ?”, Paris, 2013.

Philippe Lecrenier
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