Octobre 2013 /227
Apollinaire invente l’avenir de la poésieRéédition de deux recueils
Spécialiste de l’histoire de la poésie francophone de Belgique qu’il enseigne l’ULg, éditeur des poètes liégeois Jacques Izoard et François Jacqmin, Gérald Purnelle est également président de l’Association internationale des Amis de Guillaume Apollinaire dont le siège est à Stavelot. C’est à lui que les éditions Flammarion, profitant de l’entrée du poète dans le domaine public, ont confié l’appareil critique de la réédition dans sa collection poche GF de ses deux seuls recueils poétiques, Alcools et Calligrammes. Le 15e jour du mois : Pourquoi l’association a-t-elle son siège à Stavelot où Apollinaire n’a pourtant séjourné que trois mois, à 19 ans, avec son frère Albert, entre la mi-juillet et le début octobre 1899 ? Gérald Purnelle : Et en plus, il est parti à la cloche de bois, sans payer la pension où il logeait ! Mais quelques poètes belges – Marcel Thiry, Robert Vivier – se sont intéressés à ce bref séjour auquel le Verviétois Christian Fettweis a consacré un petit livre, Apollinaire et l’Ardenne. Des Stavelotains ont alors fondé l’association en collaboration avec des universitaires parisiens étudiant le poète, notamment Michel Décaudin. A Stavelot, une plaque a été apposée sur l’Hôtel du Mal-Aimé dont l’intérieur est décoré en l’honneur du poète et, dans l’Abbaye, un petit musée lui fut dédié où se trouvait le lit dans lequel il aurait dormi. Le 15e jour : Ce bref séjour a-t-il été important pour lui ? G.P. : Il a alors déjà écrit quelques poèmes et a commencé son premier texte en prose, qui n’est d’ailleurs pas un roman, L’enchanteur pourrissant [qui ne paraîtra qu’en 1909]. Ce séjour à Stavelot a fortement marqué sa sensibilité. Et des éléments du paysage et des coutumes reviendront tardivement dans sa poésie. Par exemple, dans le poème de Calligrammes où il raconte le moment où il a appris que la guerre était déclarée, il évoque les “pouhons” et Francorchamps. Le 15e jour : Son premier recueil paru en 1913, Alcools, couvre 15 ans sans organisation chronologique. Comme vous le rappelez dans le dossier de cette édition, Georges Duhamel l’a qualifié à sa sortie de “boutique de brocanteur”. Vous le comprenez ? G.P. : Apollinaire n’a pas cherché à faire un recueil cohérent dans sa thématique, son esthétique ou sa manière de concevoir le poème. Il assume, sinon un bric-à-brac, du moins une grande diversité qui peut effectivement faire problème. A part Zone, le poème liminaire rajouté au dernier moment, et Vendémiaire, le dernier, sa construction reste une source d’interrogation perpétuelle. Calligrammes, qui est chronologique, est beaucoup plus clair. J’essaie de montrer qu’au milieu de cette variété entre poèmes élégiaques, symbolistes et visionnaires, entre vers réguliers et vers libres, il existe une unité à un niveau beaucoup plus profond, dans la figure du poète et l’insertion du sujet dans les poèmes. Le 15e jour : C’est la question de sa modernité… G.P. : Apollinaire n’est pas un avant-gardiste qui fait table rase du passé. Il fonde sa poésie sur la connaissance de la tradition et son prolongement partiel. Tout en faisant appel à l’innovation et à l’invention. Car il n’est pas passéiste : il veut que la poésie évolue, se renouvelle. C’est un homme tourné vers l’avenir dans lequel la poésie doit jouer un rôle. Ses poèmes inventent donc cet avenir de la poésie. Il est dès lors moderne sans être jamais coupé du passé ni du futur. Et sans être un chantre de la modernité extra-poétique. Les trains, les avions, les machines, s’il peut en intégrer des éléments dans des poèmes, n’en sont pas le sujet. Quand il parle de la modernité, c’est toujours avec humour, distance, ironie. Le 15e jour : Quel est alors le sujet de sa poésie ? G.P. : Lui, la poésie elle-même, l’avenir. Mais pas la modernité du monde. Ni même lui dans le monde moderne. C’est lui projeté dans l’avenir. Dans Alcools, et c’est encore plus net dans Calligrammes, il parle davantage de l’avenir que du présent. Tout en abordant le passé à travers ses mythes, ses légendes ou son propre passé. Le 15e jour : Quelle est sa spécificité ? G.P. : Chaque poème ou presque possède sa propre poétique, réinvente sa poésie : la manière de concevoir la place du sujet dans le poème, de s’adresser au lecteur, de définir la fonction du poème et son objectif. Souvent, dans ses poèmes, le locuteur est Apollinaire lui-même mais en même temps la figure mythifiée, idéalisée du poète. Dans les poèmes de guerre réunis dans Calligrammes, par exemple, quand il dit “je”, ce n’est pas tant pour rapporter ce qui lui est arrivé ou ce qu’il a vu mais c’est toujours en relation avec le futur, la construction de la beauté, une réflexivité du poète sur lui-même. C’est Apollinaire soldat et Apollinaire qui se pense poète. La poésie crée une beauté nouvelle. Le 15e jour : Vous parlez d’un “lyrisme réinventé”. G.P. : C’est un lyrisme intégré dans la modernité. Pour lui, on ne peut pas pratiquer la poésie du passé sans rien y changer ; le poète doit au contraire constamment réinventer la poésie du moment. Ce que la poésie du XXe siècle présente de plus lyrique procède de lui.
Article sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Pensée/lettres) Apollinaire, Alcools et Calligrammes, GF Flammarion, Paris, 2013.
Propos recueillis par Michel Paquot
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