Octobre 2013 /227
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Arnaud Zacharie

Mondialisation : qui gagne, qui perd ?

ZacharieArnaudArnaud Zacharie est depuis 2008 secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11). Licencié en arts et sciences de la communication de l’ULg, il est également titulaire d’un double master en études européennes pluridisciplinaires et en relations internationales. Le 15 octobre, il va présenter au Département de science politique de l’ULg – en cotutelle avec l’ULB – une thèse sur “L’impact des politiques internationales de financement du développement sur les marges de manoeuvre politiques (policy space) des pays en développement”. L’occasion d’aborder la problématique des pays émergents sur la scène internationale.

Le 15e jour du mois : Quel est le point de départ de votre thèse ?

Arnaud Zacharie : Je me suis demandé si la mondialisation était favorable ou non à l’essor des pays en voie de développement. Cette question (majeure à mon sens dans le domaine de l’économie politique internationale) a déjà été étudiée à plusieurs reprises et la littérature scientifique témoigne, globalement, de deux courants de pensée dominants. Dans les années 60-70 particulièrement prévalait la “théorie de la dépendance”. Soutenue par des sociologues et des historiens, celle-ci envisage la pauvreté des pays en développement comme une conséquence des liens de dépendance entretenus avec les pays du Nord. L’intégration dans le marché mondial est perçue dès lors comme une dépendance des pays du Sud et la mondialisation considérée comme un obstacle à leur développement.

Dans les années 80, a contrario, la théorie néolibérale prônée par le FMI et la Banque mondiale, notamment, s’est imposée dans le cadre de ce que l’on appelle le “Consensus de Washington”. Pour les tenants de cette doctrine, les pays du Tiers-Monde ont tout intérêt à s’intégrer de manière indifférenciée au marché mondial car celui-ci aura inévitablement un impact positif sur leur croissance. L’Etat doit donc “laisser faire, laisser aller”, c’est-à-dire attirer les investissements des entreprises et des capitaux privés internationaux.

Ma thèse renvoie ces deux conceptions dos à dos : en analysant l’impact de la mondialisation sur les marges de manoeuvre politiques des pays en développement et en utilisant la grille d’analyse “centre-périphérie” chère à Fernand Braudel, j’ai cherché à comprendre dans quelle mesure cela permet d’expliquer pourquoi certains pays de la périphérie convergent avec le centre et d’autres pas. A cette analyse globale, j’ai intégré un volet de politique comparée des cas de la République démocratique du Congo (RDC), de la Corée du Sud et de l’Argentine.

Le 15e jour : Que révèle cette nouvelle approche ?

A.Z. : A l’épreuve des études empiriques et théoriques, les deux théories que je viens de citer ne résistent pas. Contrairement à la théorie de la dépendance, par exemple, la Corée du Sud s’est (rapidement) développée en s’intégrant au marché mondial de manière stratégique et graduelle, tout en préservant un certain degré d’autonomie politico-économique (c’est aussi le cas de la Chine). Quant à la théorie néolibérale, elle a montré ses limites en Argentine qui, suite aux politiques de libéralisation des années 90, a connu une faillite retentissante (100 milliards de dollars de défaut de paiement). L’Etat argentin a alors décidé, à partir de 2003, de s’affranchir du dictat imposé par le FMI et d’appliquer une stratégie néodéveloppementaliste, à l’image de plusieurs pays d’Asie, avec de bien meilleures performances à la clé.

Ces deux exemples montrent que les pays qui sortent gagnants de la mondialisation sont les pays qui n’en ont accepté que partiellement les règles en maintenant, par le biais d’un Etat développementaliste, un équilibre entre leurs engagements internationaux et leurs objectifs de développement, en vue de contrôler leur ouverture et de tirer profit des technologies et des capitaux internationaux utiles au renforcement de leur stratégie de développement.

Le 15e jour : Quelles sont vos conclusions ?

A.Z. : Ma thèse interroge l’impact des politiques internationales de financement du développement (les politiques d’aide publique au développement, les politiques de commerce et d’investissement, ainsi que les politiques financières internationales) sur l’espace politique des pays en développement, afin de savoir si cela permet d’expliquer pourquoi certains pays en développement ont réussi à entamer un processus de convergence avec les pays industrialisés du centre, alors que d’autres sont restés fixés dans la périphérie de l’économie mondiale.

Ma conclusion principale est que, dans le contexte actuel de globalisation, le système international a renforcé les contraintes de jure (issues des conditionnalités de l’aide et des accords de commerce et d’investissement) et de facto (issues des flux de capitaux privés pro-cycliques) qui pèsent sur les politiques économiques des pays en développement, mais qu’il a simultanément offert de nouvelles opportunités en permettant une redistribution internationale de la production et des revenus. Les pays émergents de la semi-périphérie qui ont réussi à maintenir un équilibre entre ces contraintes et leur autonomie politico-économique (comme la Chine et les pays d’Asie orientale) ont tiré profit du système et réussi à entamer un processus de convergence avec les pays du centre.

Trois arguments soutiennent cette affirmation. Premièrement, l’évolution du système international a profité à quelques pays émergents de la semi-périphérie qui ont dès lors entamé un rattrapage économique avec les pays du centre. L’ordre mondial “unipolaire” centré sur les Etats-Unis depuis la fin de la guerre froide évolue ainsi vers un ordre plus multipolaire suite à la montée des puissances régionales du Sud et au transfert progressif du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie orientale, laquelle ne respecte pas le Consensus de Washington. Deuxièmement, on constate que l’Etat est resté un acteur majeur dans le système international malgré le changement d’échelle de la globalisation. Troisièmement, c’est la capacité de certains pays de se ménager une marge d’action suffisante pour mettre en place des politiques publiques adéquates qui explique leur convergence vers le centre, alors que d’autres restent fixés dans la périphérie.

Contre la théorie néolibérale, j’affirme dès lors que des politiques publiques adaptées à la spécificité des contextes locaux permettent une intégration stratégique au marché mondial qui favorise le processus de convergence entre les pays de la périphérie et ceux du centre. En opposition à la théorie de la dépendance, j’avance aussi que la hiérarchie de l’économie mondiale n’est pas figée : les rapports de domination persistent mais selon un processus dynamique qui permet aux pays émergents dotés d’une marge d’action suffisante de tirer profit de la mondialisation.

Propos recueillis par Patricia Janssens
Photos © J.-L. Wertz
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