Novembre 2013 /228

De rouille et d’os

Tous deux travaillent sur des pathologies touchant de près les os et les articulations. Les lombalgies pour Céline Mathy, l’arthrose pour Frédéric Oprenyeszk.
Ces deux doctorants de l’unité de recherche sur l’os et le cartilage du Pr Yves Henrotin à l’ULg seront récompensés au Congrès sur les maladies des os, des muscles et des articulations (BMJD Congress) qui se tiendra à Bruxelles du 21 au 24 novembre. Focus sur deux recherches innovantes.

MathyCelineLe 15e jour du mois : Cela fait trois ans que vous travaillez sur la lombalgie. Une psychologue qui réalise une étude sur des problèmes de dos, ce n’est pas courant !

Céline Mathy : Il s’agit d’une recherche interdisciplinaire qui mêle la psychologie, la kinésithérapie et la rhumatologie. C’est précisément ce qui rend ce travail intéressant et innovant ! La lombalgie commune est un problème qui touche 70% de la population. Pour 10% des patients, le mal deviendra chronique. Cette pathologie a un coût important pour la société, que ce soit au niveau de l’absentéisme ou de la Sécurité sociale. Il est donc important de l’éviter ou d’en sortir. Les exercices physiques prescrits par un médecin sont l’une des façons d’y parvenir. Et pourtant, selon notre enquête, 70% des sondés admettent qu’ils réalisent peu ou pas du tout leurs exercices physiques lorsqu’ils se retrouvent chez eux.

Le 15e jour : Qu’est-ce que la volition ?

C.M : La volition peut être définie comme un processus qui englobe tout ce que le patient va consciemment et concrètement réaliser pour atteindre un objectif. Quels sont les barrières et les facilitateurs qui vont entrer en ligne de compte dans sa démarche ? Les obstacles les plus souvent cités sont le manque de temps, la fatigue, l’absence de résultats constatés, la vie sociale et la douleur. Etonnamment pas la paresse ! Seules deux personnes ont mentionné cet argument. Quant aux facilitateurs, la pratique en groupe, le soutien du thérapeute et la planification stratégique reviennent principalement. Tout comme la douleur.

Le 15e jour : La douleur joue donc un double rôle ?

C.M. : Effectivement. Elle entraîne beaucoup de peurs et de croyances. On remarque que si elle n’est pas présente ou a contrario trop intense, elle sera un facteur qui empêchera de faire de l’exercice. Mais elle peut aussi être interprétée comme un signal alarmant et encourager à bouger pour se soulager et pour ne pas que cela empire.

Le 15e jour : A quels types de patients êtes-vous confrontée ?

C.M. : Nous avons recensé trois types de patients : les “préintentionnels”, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas l’intention d’agir ; les “intentionnels”, ceux qui n’agissent pas encore mais qui en manifestent l’intention et enfin les “acteurs”, ceux qui agissent.

Le 15e jour : Votre but est d’élaborer un questionnaire thérapeutique pour les médecins. Comment pourront-ils l’utiliser ?

C.M. : Grâce à ce questionnaire, les médecins pourront adapter leur stratégie thérapeutique. Si leur patient est “préintentionnel”, il faudra le convaincre de la nécessité des exercices physiques. Face à un “intentionnel”, le médecin devra l’aider à trouver le bon moment et le bon moyen de réaliser ses exercices. Devant un “acteur”, l’enjeu sera d’anticiper d’éventuelles barrières et de les aider à les surmonter.

Je précise que le questionnaire doit encore être validé sur 300 patients supplémentaires, un travail qui devrait me prendre encore un an ou deux. Il faudra donc attendre un peu pour avoir le questionnaire final.

OprenyeszkFredericLe 15e jour du mois : Vous travaillez à la mise au point d’un hydrogel qui agirait sur l’arthrose. En quoi consistent vos recherches ?

Frédéric Oprenyeszk : Lorsque j’ai commencé mon doctorat auprès du Pr Yves Henrotin, un biomatériau original formé de billes d’alginate et de chitosan et d’un gel de chitosan avait déjà été élaboré. Dans un premier temps, j’ai évalué le comportement des chondrocytes – les seules cellules du cartilage – dans ces billes. Nous avons constaté une baisse des facteurs inflammatoires, une diminution des enzymes responsables de la destruction du cartilage, ainsi qu’une augmentation de la synthèse de certains constituants de ce tissu. Après ces tests in vitro, nous avons eu l’idée d’injecter ce biomatériau dans l’articulation abîmée. Pour passer à ces tests in vivo, j’ai dû réduire la taille des billes afin qu’elles puissent être injectées. Techniquement, cela n’a pas été simple d’atteindre un diamètre de 500 à 900 microns. Après plusieurs semaines, l’hydrogel biphasique composé de ces petites billes dispersées dans un gel à base de chitosan était prêt.

Le 15e jour : Quels effets produit-il ?

F.O. : Le but est de soulager les patients et de ralentir le développement de l’arthrose. Au cours d’une étude d’efficacité, financée par l’Interface Entreprise-ULg, nous avons testé l’hydrogel chez le lapin développant de l’arthrose. Nous avons observé une réduction des lésions du cartilage, ce tissu blanc recouvrant l’extrémité des os.

Le 15e jour : L’arthrose finit par disparaître ?

F.O. : Non, une fois le cartilage endommagé ou perdu, il ne se régénère pas. Mais après injection du biomatériau, nous avons constaté un ralentissement du développement de l’arthrose. D’un point de vue macroscopique, les lésions ont tendance à diminuer. Par ailleurs, notre étude prouve que l’hydrogel est bien toléré et sans effets secondaires. Il faut dire que les composés sont entièrement naturels : l’alginate est issu des algues et le chitosan des champignons.

Le 15e jour : Quelle est la différence entre ce produit et les traitements existants contre l’arthrose ?

F.O. : Il existe des gels à base d’acide hyaluronique utilisés dans le traitement contre l’arthrose mais ils doivent, le plus souvent, faire l’objet d’injections répétées dans le temps. L’originalité de notre hydrogel est la combinaison de ces petites billes qui vont jouer le rôle d’amortisseurs des chocs appliqués sur l’articulation et du gel de chitosan. De plus, une monodose de l’hydrogel a suffi, dans notre étude, à produire un effet assez spectaculaire. D’autres études – financées par la Région wallonne – sont en cours de réalisation afin de parfaire la connaissance du produit.

Les résultats actuels de la recherche ont été transférés à Synolyne, 100e spin-off de l’ULg fondée par le Pr Yves Henrotin, spécialisée dans le traitement de l’arthrose. Elle se chargera de continuer le développement et de commercialiser ce nouveau biomatériau.

Congrès international BMJD

Du 21 au 24 novembre, au Sheraton Brussels Hotel, place Rogier 3,
1210 Bruxelles.

Informations sur le site www.congressmed.com

Propos recueillis par Mélanie Geelkens
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