Décembre 2013 /229

Petit mais costaud

OUFTI-1, nano-satellite mis au point par des étudiants

Un nano-satellite, qui tient dans une main, vient de voir le jour au Centre spatial de Liège (CSL). Ce très petit engin est, depuis quelques années, un outil d’éducation popularisé sous le nom bien de chez nous d’OUFTI-1, l’abréviation d’Orbital Utility for Telecommunication Innovations. Il est basé sur le standard Cubesat, dont le concept né en Californie se répand comme une traînée de poudre1. Il a pour mission d’améliorer les contacts entre radio-amateurs du monde entier en relayant des communications numériques de haute qualité. Le Cubesat liégeois est bien là, comme prêt à l’emploi. Son premier examen par les spécialistes de l’European Space Agency (ESA) est réussi. Ce qui est de bon augure pour envisager son lancement en 2015.

Six années d’incubation

Oufti3Première leçon de cette réalisation unique en Belgique2 : développer un engin spatial miniature – c’est un cube de 1 kg de masse, d’1 l de capacité et d’1 W de puissance – prend beaucoup de temps, exige de la bonne volonté et de patients efforts. Surtout pour des étudiants et chercheurs qui doivent faire leur apprentissage des défis et contraintes du spatial. Le délicat accouchement d’OUFTI-1 – l’assemblage et l’intégration de ses divers composants – a pris quatre jours. Grâce aux bons soins et entre les doigts des cinq “sages-femmes” que sont Gaëtan Kerschen (LTAS/ULg), Jacques Verly (Institut Montefiore/ULg), Valery Broun (Isil/HEPL), Nicolas Crosset et Xavier Werner (Intelsig/laboratoire d’exploitation des signaux et des images). Avec une télé-surveillance, depuis Singapour, d’Amandine Denis et de Jonathan Pisane qui ont joué un rôle clé comme pionniers du premier Cubesat belge.

A l’issue d’un appel à candidats, auquel a répondu l’université de Liège, l’ESA a en juillet dernier jugé intéressant d’inscrire le nanosatellite liégeois parmi les missions Cubesat qu’elle envisage de lancer dans le cadre de son programme d’éducation Fly Your Satellite (FYS). Il fallait dans de brefs délais produire un manuel d’utilisation et réaliser le modèle de vol. Le 6 novembre dernier, OUFTI-1 était prêt pour sa présentation technique aux examinateurs de l’ESA dans le cadre du Test Readiness Review. Il s’agissait de voir s’il répondait bien aux exigences du FYS : les examinateurs ont fait des recommandations pour la fiabilité du nano-satellite. Un autre examen ESA, après des tests fonctionnels, doit vérifier son aptitude à passer les essais sous vide dans les installations de l’European Space Research & Technology Centre à Noordwijk aux Pays-Bas. Le Cubesat de Liège, complètement assemblé, est l’aboutissement d’une gestation qui a duré six ans et mobilisé une cinquantaine d’étudiants3, dix professeurs et ingénieurs.

« L’idée d’une mission originale pour un Cubesat liégeois a germé le 18 septembre 2007 lors d’une communication téléphonique, avec Luc Halbach, radio-amateur passionné et alors ingénieur chez Spacebel », se souvient Jacques Verly. Le projet de réaliser un Cubesat avait été lancé en 2005 sous le nom de “Leodium” (Lancement en orbite de démonstrations innovantes d’une université multidisciplinaire) par Liège Espace, groupe de réflexion qui associe les instituts de l’Université et les industriels, acteurs du spatial dans la région. Le projet était décrit comme outil pédagogique et promotionnel des maîtrises en aérospatiale et en sciences spatiales – spécialités liégeoises – de la Communauté française de Belgique.

Mission originale pour radio-amateurs

Oufti2OUFTI-1 a l’ambition d’expérimenter dans l’espace la nouvelle technologie du protocole D-STAR (Radio Digital-Smart Technologies for Amateur). La communauté mondiale des radio-amateurs attend beaucoup de cette expérimentation d’un relais spatial de communications numériques entre radio-amateurs, avec transmission simultanée de la voix et des données numériques (GPS, fichiers, etc), avec routage et roaming au niveau mondial, y compris via internet. Certes, le nano-satellite n’a pas besoin d’une stabilisation précise sur les trois axes. Mais il a fallu miniaturiser son équipement de télécommunications, améliorer son alimentation électrique, mettre au point un déploiement efficace d’antennes. Sans dépasser la masse de 1,3 kg au lancement. D’ores et déjà, l’Institut Montefiore s’est équipé d’une station de réception des signaux de satellites radio-amateurs. Il a mis en place son équipement pour établir des liaisons via le protocole D-STAR.

Durant six ans, des travaux de fin d’études et des thèses de doctorat ont été nécessaires afin de miniaturiser et d’améliorer des composants efficaces qui résistent aux rigueurs de l’environnement spatial (différences de températures, flux de radiations) après ceux du lancement (chocs, vibrations). L’autre leçon d’OUFTI-1 est sa dimension liégeoise : l’apprentissage à des systèmes spatiaux a nécessité la coopération entre ingénieurs civils (ULg, UCL) et industriels (Institut Gramme/Helmo, service électronique de HEPL/Rennequin Sualem- Isil, HEPL/Rennequin Sualem-Inpres).

Les promoteurs du Cubesat liégeois ont tenu à privilégier le “par et pour les étudiants”. C’est pourquoi son développement a pris beaucoup de temps, même avec Amandine Denis comme chef de projet pour assurer le suivi entre les étudiants des années académiques successives. Avec ce premier Cubesat, les Prs Gaëtan Kerschen et Jacques Verly, sur qui repose l’avenir des nano-satellites à Liège, se plaisent à reconnaître le côté stimulant de la matière grise et la dimension enthousiaste d’innover. Mais il leur faut admettre que « l’ultime étape de la finalisation du nano-satellite n’est pratiquement possible qu’avec une petite équipe d’ingénieurs et techniciens qui peuvent faire face aux multiples problèmes de dernière minute ». Du côté de la faculté des Sciences appliquées, on se met à croire en la satellisation d’OUFTI-1 pour 2015. Son lanceur n’est pas encore connu, mais il serait question d’un vol Vega.

Sans être sur orbite, le Cubesat liégeois a déjà réussi une double mission. Il a fait éclore des vocations : plusieurs étudiants font carrière dans le secteur spatial. Notamment chez le n°1 de l’industrie belge des satellites, spécialisé dans leur alimentation électrique, voire jusqu’à la Silicon Valley, dans la nouvelle entreprise Planet Labs qui prépare une constellation de nano-satellites d’observation… Il a par ailleurs donné le coup de pouce au phénomène Cubesat en Belgique. Le savoir-faire de l’ULg est à présent sollicité pour de nouvelles missions : “Picasso” sur la chimie de l’atmosphère, “Qarman” pour un essai de rentrée, “Simba” avec un radiomètre pour l’impact du rayonnement solaire sur notre Terre. Sans oublier le projet ambitieux du Von Karman Institute : une constellation de 50 Cubesats doubles pour des mesures in situ de la thermosphère au-dessus de nos têtes… OUFTI-1 a fait naître un réel élan Cubesat chez les chercheurs, industriels et radio-amateurs.

 

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1 Le phénomène Cubesat, qui compte déjà plus de 200 nano-satellites en orbite, permit à des pays d’effectuer leurs premières missions au-dessus de nos têtes : c’est le cas du Danemark, de la Norvège, de la Suisse, de l’Estonie, de la Pologne, de la Hongrie, de la Roumanie et de de l’Equateur.
2 OUFTI-1 aura à son actif quelques “premières” :
- 1er satellite complet assemblé de A à Z au CSL/ULg
- 1er satellite conçu et construit en Belgique sous management belge
- 1er satellite de communication D-STAR pour les radio-amateurs
3 Voir leurs photos sur le site www.oufti.ulg.ac.be

Théo Pirard
Photos : Jean-Louis Wertz
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