Décembre 2013 /229

Tadam, efficacité reconnue

La recherche scientifique a fourni ses conclusions

Comment prendre en charge les personnes dépendantes de l’héroïne de rue, pour lesquelles les traitements par méthadone échouent ? C’est en menant un projet-pilote de délivrance contrôlée d’héroïne que la ville et l’université de Liège – les deux opérateurs principaux de projet, la Ville pour la mise en place du traitement, l’Université pour l’évaluation scientifique – ont voulu prendre à bras-le-corps cette question complexe et délicate.

DemaretIsabelleCoordonnée au sein de l’ULg par la chercheuse en santé publique Isabelle Demaret, sous la direction des Prs Marc Ansseau (chef du service de psychiatrie) et André Lemaître (chef du service de criminologie de l’Institut des sciences humaines et sociales), l’étude scientifique est à présent achevée*. L’équipe de recherche vient ainsi, après plusieurs mois de travail, de remettre son rapport final au cabinet de la ministre fédérale des Affaires sociales et de la Santé publique Laurette Onkelinx. L’heure est aujourd’hui aux conclusions, qui ont été présentées à la presse ce 3 décembre. Tadam – pour “traitement assisté par diacétylmorphine” – constitue-t-il une solution ? Est-il intéressant de mettre en place ce type de traitement en Belgique, comme c’est le cas par exemple en Suisse et aux Pays-Bas ?

Retour en arrière

En 1995, la presse relaye les discussions des autorités et du secteur des soins en assuétudes sur les possibilités d’un traitement assisté par diacétylmorphine à Liège. La ville compte en effet de nombreuses personnes dépendantes de l’héroïne, dont une fraction résiste aux traitements habituels par méthadone. Selon les estimations, établies par l’ULg en 2007, on dénombre entre 3500 et 4500 personnes dépendantes de l’héroïne en province de Liège, dont 1600 à 2100 pour la seule commune de Liège (qui compte environ 200 000 habitants).

Inspirées d’expériences similaires menées à l’étranger, les autorités aboutissent à un accord définitif en février 2007, date à laquelle les ministres fédéraux de la Santé publique et de la Justice annoncent le lancement de Tadam et l’octroi d’un budget. Objectif : mettre sur pied un traitement expérimental consistant à administrer de la diacétylmorphine, par injection ou par inhalation, à des personnes sévèrement dépendantes de l’héroïne dans un cadre médical et contrôlé, avec une offre de suivi psychosocial. « L’objectif global de ce traitement est d’améliorer la santé physique et psychique des patients, de favoriser leur intégration sociale, en diminuant leur consommation d’héroïne de rue et leur insertion dans un milieu délinquant », rappelle Marc Ansseau.

La fondation Tadam est alors mise sur pied. Un local est aménagé au centre de Liège pour accueillir les patients et le personnel. Et un protocole précis est mis au point : 200 patients seront recrutés sur base volontaire, répartis en deux groupes – le groupe expérimental recevant de la diacétylmorphine dans le centre DAM et le groupe contrôle de la méthadone dans un centre partenaire – et traités durant 12 mois. Au final, l’étude a pu inclure 74 personnes. « Car d’autres usagers d’héroïne étaient inquiets face au caractère temporaire de cette offre et craignaient de devenir plus dépendants », analyse l’équipe.

Dans les conclusions d’évaluation qu’ils viennent tout juste de rendre, les scientifiques le soulignent clairement : « Le traitement par diacétylmorphine est réalisable et plus efficace que les traitements par méthadone pour les personnes sévèrement dépendantes de l’héroïne, résistant aux traitements existants. » L’équipe de recherche recommande donc la prolongation de ce traitement pour un groupe cible identique et, sur base, dans l’ensemble, du même protocole que celui mis au point pour l’étude. Elle propose cependant d’apporter quelques changements, dont le plus important réside dans la longueur du traitement. « La durée ne doit pas être fixée arbitrairement à l’avance », souligne Isabelle Demaret, assitante dans le service du Pr Ansseau, rappelant que l’appréhension d’arriver à la fin de leur traitement a suscité chez de nombreux patients une détérioration de leur état dès le dernier mois de traitement.

Efficacité prouvée, quelques ajustements

Cela étant, les auteurs de l’étude mettent en avant les améliorations notables observées chez les patients du groupe expérimental par rapport au groupe contrôle : une diminution significative de la consommation d’héroïne de rue et de benzodiazépines (calmants et somnifères) et une amélioration de la santé, particulièrement au niveau des sentiments de dépression et des traits psychotiques. Selon eux, donc, la méthode a prouvé son efficacité. Néanmoins, cette offre d’aide doit rester une option de seconde ligne, proposée uniquement à des personnes qui continuent à consommer de l’héroïne de rue malgré la méthadone. A cela s’ajoute l’épineuse question du coût d’un tel traitement, en partie évalué dans l’analyse socio-économique.

Aucun événement indésirable grave n’a été provoqué par l’administration de diacétylmorphine et le centre DAM a traité sans problème majeur les patients du groupe expérimental. Les risques ont été aussi limités, car presque tous les patients (93%) ont choisi d’inhaler la diacétylmorphine plutôt que de l’injecter. A tel point que l’offre de diacétylmorphine par injection ne se justifierait plus dans un nouveau centre (à Liège du moins). En outre, d’après l’étude supervisée par André Lemaître, aucun impact négatif du centre DAM sur le quartier n’a été constaté, grâce notamment à l’attitude proactive de son personnel et à la participation des patients. Les actes délinquants des patients (des deux groupes) ont d’ailleurs nettement diminué au cours du projet.

Si les scientifiques ont bel et bien rendu un avis favorable, la balle est désormais dans le camp des décideurs politiques. Willy Demeyer, bourgmestre de Liège et sénateur, vient ainsi de déposer deux propositions de loi visant à parfaire la prise en charge des usagers de drogues. La première concerne la légalisation des “salles de consommation à moindre risque“ et la seconde celle du traitement assisté par diacétylmorphine pour les patients toxicomanes sévèrement dépendants et résistants aux traitements existants.

Voir la vidéo sur le site www.ulg.ac.be/webtv/tadam

* L’équipe de recherche était en outre composée de trois chercheuses – Géraldine Litran (criminologue), Cécile Magoga (psychologue), Clémence Deblire (psychologue et criminologue) – ainsi que de Jérôme De Roubaix (médecin généraliste).

Marie Liégeois
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