Décembre 2013 /229

La flexibilité à l’épreuve

Le décret “Paysage” récemment approuvé entrera en vigueur à la rentrée 2014-2015 (voir article).
Il aura, entre autres, une incidence sur l’évaluation, la diplomation et la mobilité des étudiants. Evoquant l’aide à la réussite, le ministre Jean-Claude Marcourt se félicite de la mise en place de mécanismes de lutte contre l’échec particulièrement important en 1re année.
Le point de vue de Jean-Loup Chalono, inscrit en 2e master en science politique et vice-président de la Fédé et de celui de Pascal Detroz, chargé de cours à l’Ifres.

Le 15e jour du mois : Que pensez-vous du récent décret ?

ChalonoJeanLoupJean-Loup Chalono : Le ministre Marcourt prépare ce texte depuis longtemps. En janvier 2013, les étudiants ont eu tout le loisir de l’examiner, ce qui fut fait en collaboration avec la FEF notamment. Depuis lors, nous avons informé les étudiants et organisé une mobilisation, le 28 mars, sur différents sites universitaires. A Anvers, Gand, Bruxelles, Louvain, Louvain-la-Neuve, Namur et Liège, 6000 étudiants ont répondu à notre appel.

Le plus grand reproche que nous faisons au décret est qu’il n’envisage pas le refinancement de l’enseignement supérieur*. Le ministre Marcourt le déplore, lit-on dans la presse, alors pourquoi cette question centrale n’a-t-elle pas été débattue au cours de cette législature ? En revanche, la réorganisation des pôles de l’enseignement supérieur selon la logique géographique constitue sans doute le plus grand mérite du texte. De notre point de vue, celui des étudiants, c’est une excellente chose car nous pourrons plus facilement faire évoluer des dossiers qui concernent tous les étudiants du supérieur, comme celui des transports en commun par exemple ou celui des infrastructures qui pourraient être mutualisées.

Le 15e jour : La moyenne à 10 ?

J.-L.Ch. : Pour moi, cela ne changera rien à la qualité de l’enseignement dispensé. Les professeurs vont adapter les notes. Par ailleurs, il me semble assez logique que si un cours est réussi avec 10/20, l’ensemble de l’année le soit avec 10/20 de moyenne (comme en France et en Flandre par exemple). Cette décision annule désormais ce que l’on appelle les “balances”, éternelles sources d’incertitude. Le nouveau système sera plus clair, ce qui ne signifie pas que ce sera plus facile de réussir ! Plus généralement, le décret est assez peu détaillé sur l’aide à la réussite. Dernièrement, le test obligatoire (mais pas contraignant) pour s’inscrire en faculté de Médecine a été présenté comme une “aide à la réussite”... A la Fédé, nous pensons plutôt qu’il faut multiplier les remédiations. Or, celles-ci sont nettement insuffisantes.

Le 15e jour : Le texte prévoit aussi une déstructuration des années d’études…

J.-L.Ch. : Honnêtement, les étudiants n’étaient pas preneurs de ce changement. Pour nous, l’année pédagogique est un ensemble pertinent reconnu comme tel : la formation sanctionnée par un diplôme a une valeur sur le marché du travail. Or, déstructurer les études, c’est permettre de prendre des cours “à la carte”, ce qui risque, à la longue, d’amener à des parcours très divers au sein d’une même filière. Aux Etats-Unis, dans certaines universités, des cours de guitare ou de sexologie peuvent être pris dans le cursus de science politique… Si l’on suit cette logique, les diplômes ne voudront bientôt plus rien dire. Pas sûr que les étudiants y gagneront sur le marché de l’emploi.

* La Fédé a lancé une pétition pour le refinancement. Voir le site : https://13602.lapetition.be/

Le 15e jour du mois : Le décret instaure une flexibilité dans le parcours de l’étudiant. Qu’en pensez-vous ?

DetrozPascalPascal Detroz : Selon ce décret, s’il faudra toujours obtenir 180 crédits pour décrocher un diplôme de bachelier (et 120 ou 180 crédits pour obtenir celui de master), le concept d’année d’études devient évanescent. En conséquence, l’étudiant mènera son parcours à son rythme : engranger 60 crédits en deux ans sera désormais la seule obligation. L’avantage est que les étudiants pourront, dans une certaine mesure, et en fonction des prérequis imposés, choisir leur rythme et leurs cours. Outre la plus grande flexibilité ainsi offerte aux étudiants, l’intérêt essentiel de cette mesure est, à mes yeux, qu’elle valorise davantage la réussite de crédits et relativise quelque peu la notion d’échec. En termes d’image de soi, c’est important.

Cette nouvelle organisation aura probablement quelques aspects contraignants pour l’institution. Ainsi, les départements qui souhaitent garder un parcours de formation dans leur cursus vont devoir définir avec un soin méticuleux les cours prérequis et corequis. Cela risque également d’engendrer des difficultés pour les horaires de cours et la gestion des locaux.

Le 15e jour : La moyenne ramenée à 10 engendrerat- elle une baisse des exigences ?

Pascal Detroz : Je n’en suis pas convaincu. La note reçue par un étudiant ne témoigne pas “simplement” de sa performance. Elle est aussi tributaire de la difficulté de l’épreuve et du degré de sévérité de la correction. Or ces deux derniers points sont et resteront “dans les mains” des professeurs. La littérature scientifique a montré que les enseignants adaptent leurs exigences à leur contexte d’enseignement et que, inconsciemment, ils cherchent à se conformer à une “courbe de réussite” qu’ils estiment adéquate pour leur cours. Ce qui explique partiellement le taux relativement constant des réussites (et des échecs) d’année en année. On connait aussi l’effet du contexte sur la sévérité de la correction. Par exemple, lors d’un oral, un professeur a tendance à surévaluer la performance d’un étudiant qui succède à un condisciple médiocre (et inversement).

En jouant, consciemment ou non, sur ces facteurs, il est possible que les enseignants se mettent en adéquation avec ce nouveau seuil de réussite sans toutefois diminuer leurs exigences et que finalement, le taux d’échec soit peu impacté par ce point de la réforme. In fine, je pense que la principale vertu de la décision du Ministre est le besoin d’une harmonisation au sein de l’Europe (la plupart de nos pays voisins ont fixé la moyenne à 10/20) et d’une cohérence vis-à-vis de l’enseignement secondaire. Mais elle n’affectera pas ou peu l’excellence de la formation, d’autant plus que celle-ci est un pilier de l’identité professionnelle de la plupart de nos collègues.

Propos recueillis par Patricia Janssens
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