Janvier 2014 /230
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Sommet défense de l’Union européenne

La question de la visibilité

Nous avons eu une indigestion provoquée par les multiples documents autour de la préparation du sommet de l’Union européenne (UE) consacré à la sécuritédéfense le 19 décembre dernier, tant il est vrai que l’on attendait ce sujet au Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement depuis plusieurs années.

DumoulinAndreRapports, avis et autres focus papers provenant des autorités européennes et nationales, de plusieurs Parlements, de think tanks, de journalistes spécialisés et de groupes de pression, tout fut dit ou presque dans un foisonnement d’idées, de propositions et d’avertissements. A cet égard, les doctrinaires souhaitant le lancement d’une grande réflexion stratégique, y compris un Livre blanc européen, en furent pour leurs frais, tout comme les institutionnels concernant l’activation d’une Coopération structurée permanente (CSP) inscrite dans le traité de Lisbonne ou la création d’un véritable quartier général.

Il y eut quelques audaces très mesurées mais beaucoup de pragmatisme avec le terme “capacitaire” comme maître-mot : c’est dans l’air du temps mais le temps n’est pas au beau fixe, budgétairement s’entend. Les idéalistes et les audacieux en furent pour leurs frais, nonobstant le principe selon lequel l’UE avance par petites touches ou par réactivité si une “surprise” devait survenir. Ces garde-fous et cette frilosité ambiante propre aux sujets les plus délicats – la défense et le sacro-saint pouvoir régalien de l’Etat – ne doivent pas nous empêcher de proposer quelques pistes pour une Europe de la défense mature, sachant que nous sommes dans des processus longs avec des agendas à géométrie variable.

Parmi ces pistes, nous pouvons en retenir une, politiquement importante, à savoir le degré de soutien aux politiques de défense dans les démocraties qui reste un indicateur important qu’il ne faut ni ignorer ni snober.

  • Comment imaginer un soutien dans ces domaines si la visibilité de la Politique européenne de sécurité et de défense (PSDC) n’est pas très forte et que les relais médiatiques et parlementaires sont à géométrie variable ?

  • Comment atteindre une culture commune de la sécurité-défense dans le champ parlementaire si les processus de décision et le pouvoir parlementaire sont également différenciés entre capitales, histoire et culture nationale obligent ?

  • Comment déterminer l’exacte connaissance des opinions publiques européennes en matière de sécurité-défense – connaissance utile au demeurant pour les décideurs en termes de politique de communication et de persuasion – si aucun eurobaromètre spécial défense n’a plus été organisé par les instances responsables de l’UE depuis celui de l’an 2000 organisé sous l’impulsion belge et malgré bien des appels à le faire provenant de politologues et de sociologues spécialisées ? Comment donner la bonne information aux Européens sans actualisation de la stratégie européenne de sécurité ?

  • Pourquoi peu d’efforts en termes d’effectifs et de moyens autour de la montée en puissance du Collège européen de sécurité et de défen
    se qui doit assurer une enculturation PSDC des responsables politiques et militaires et qui dépend, pour ses moyens, du bon vouloir pécuniaire des capitales ?

  • Comment s’assurer que les capitales prises individuellement vont, après le sommet, soutenir et médiatiser les conclusions dans des termes compréhensibles et accessibles pour le plus grand nombre de leurs citoyens nationaux ? Et que penser du suivi de cette politique auprès desdits citoyens, y compris de la pertinence d’intégrer des rubriques PSDC dans les documents budgétaires nationaux ?

  • Quel rôle doivent jouer les conférences interparlementaires de sécurité et de défense à ce sujet ? Ces questions n’ont toujours pas reçu de réponses satisfaisantes ou de réponses du tout !

Malgré la notion de visibilité de la PSDC figurant dans le mandat de 2012 à propos du dernier sommet, rien n’a bougé fondamentalement : le mot “visibilité” est dans un sous-titre du rapport final, sans développement associé ! On peut aussi penser que l’UE botte en touche ses propres responsabilités en ce qui concerne la conscientisation des esprits sur la pertinence de la PSDC et que chaque capitale sera in fine responsable de ladite visibilité ! Or, il nous faut une communication stratégique ouverte vers les opinions publiques. Le simple fait d’indiquer que l’UE organise ou participe à telle ou telle opération ou mission n’est pas suffisant en guise de communication et information. Le différentiel avec la politique de communication Otan est, à cet égard, édifiant. Au sein de l’UE, il y a toujours dispersion des politiques médiatiques et de visibilité, ce qui induit un caractère hermétique et complexe de l’information délivrée.

Dès l’instant où la sociologie des médias, différentes études* et les sondages spécialisés indiquent des différentiels d’influence selon les supports médiatiques mais aussi des sensibilités différentes selon les Etats face aux opérations, mais aussi selon les organisations de sécurité-défense impliquées, tout devient complexe et délicat au vu de la matière traitée. Reste que les cultures nationales et le jeu émotionnel peuvent avoir une influence sur le soutien aux politiques interventionnistes ou attentistes. Mieux, les opinions publiques peuvent avoir pour conséquence de faire chuter des gouvernements, même sur des sujets sécuritaires.

André Dumoulin
chargé de cours au département de science politique, faculté de Droit
attaché à l’Institut supérieur de défense (le texte n’engage pas les institutions en référence)

* Cf. André Dumoulin, Delphine Deschaux-Beaume et Sylvain Paile (dir.), Politiques de communication, médias et défense. L’OTAN et la PSDC : visibilité en Belgique et chez ses voisins, Peter Lang, Bruxelles, 2013 ; André Dumoulin et Philippe Manigart (dir.), Opinions publiques et Politique européenne de sécurité et de défense commune : acteurs, positions, évolutions, Bruylant, Bruxelles, 2010.

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