Janvier 2014 /230

Séjour à l’étranger

Pour une véritable égalité des chances

Alors que les séjours à l’étranger ont tout leur poids dans le curriculum vitae du chercheur, Anne Denooz, étudiante en sciences de gestion-management humain et organisation, a consacré son mémoire à “L’expatriation pour les femmes dans une carrière universitaire. Le cas de l’ULg”. « L’objectif était de savoir comment les femmes vivaient cette expérience car il est difficile pour elles de faire face à cette exigence. Nous voulions en savoir plus », explique le Pr Annie Cornet, promotrice du mémoire.

Plus mais pas plus haut

Cette thématique fait également écho à un constat établi depuis longtemps : dans les pays de l’Union européenne, les étudiantes sont plus nombreuses (56% en moyenne) et affichent de meilleurs résultats que leurs condisciples masculins. Depuis 2010, relève Anne Denooz citant l’enquête de Meulders, il y a en Belgique, dans les universités francophones, plus de 50 % de jeunes filles. Mais, si elles sont majoritaires dans le premier et le deuxième cycles, dès l’échelon du doctorat, elles ne représentent plus que 44 % de l’ensemble. Et malgré une évolution sensible de la féminisation du corps scientifique (41% en 2000, 50,5% en 2010) et du corps académique (13,6% à 23,2% sur la même période), le paradoxe saute aux yeux : le “plafond de verre” existe encore*.

CornetAnnie« Notre Institution engage clairement les chercheurs à faire un séjour à l’étranger, relève Annie Cornet. Le guide du doctorat “Pars en thèse”, par exemple, précise que la mobilité internationale revêt une importance stratégique dans une carrière académique. » Diverses informations incitent en outre les chercheurs, qui veulent progresser dans la carrière, à quitter leur sphère professionnelle et familiale pour une période d’un an. « Cette obligation se précise dès la fin de la thèse de doctorat, note Annie Cornet. Or, c’est entre 25 et 40 ans que les femmes souhaitent fonder une famille. S’expatrier momentanément, pour une femme, c’est souvent partir avec ses enfants, demander au conjoint de suspendre sa carrière, s’exposer à des difficultés financières, faire des choix éducatifs autres, quitter l’intégration naissant dans un quartier. Cela paraît vite – et parfois à tort – impossible. »

Anne Denooz a rencontré 27 chercheuses de l’ULg qui ont franchi le cap et séjourné trois mois, au moins, hors les murs de notre Alma mater. Il s’agit de huit scientifiques et 21 académiques réparties dans presque toutes les Facultés, celles de Droit et de Gembloux Agro-Bio Tech exceptées. Comment les femmes ont-elles intégré ce qui, au premier abord, ressemble à une contrainte ?

« Malgré l’échantillon assez restreint de l’enquête, les conclusions de l’étude qualitative sont pleines d’enseignements, note la promotrice du travail. Celles qui sont parties l’ont fait avec l’ambition de poursuivre une carrière à l’Université et ce sont celles qui avaient déjà des contacts extra muros – noués lors de colloques ou à l’occasion d’une publication avec des équipes internationales –, qui ont envisagé l’expatriation ponctuelle de la manière la plus positive. » Toutes ont été enchantées de l’expérience et soulignent son côté bénéfique en termes de recherche, de collaboration, de confrontation avec d’autres systèmes d’enseignement, etc., mais toutes, à des degrés divers, ont dû élaborer des stratégies innovantes.

Discrimination positive

« Les chercheuses sans enfant ont fait leurs valises plus facilement, c’est indéniable, reprend Annie Cornet. Les mères de famille, quant à elles, ont fait montre d’inventivité : certaines se sont envolées avec enfants et conjoint lorsque celui-ci avait la possibilité de les accompagner, mais c’est un cas assez rare. Les autres ont privilégié soit les courts séjours (six mois ou plusieurs fois trois mois) soit des destinations européennes principalement – afin de rentrer à la maison régulièrement, sans dépenses majeures. » Et de conclure : « l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle doit être pris en compte. Les règles en vigueur ont été pensées par des hommes pour les hommes. Or les modèles familiaux ont évolué et aujourd’hui hommes et femmes doivent faire face à une double carrière dans les couples, à une garde des enfants partagée en cas de divorce, etc. »

Quelle politique l’ULg pourrait-elle mettre en oeuvre à l’égard des chercheuses ? Dans un souci d’égalité des chances, comment faire en sorte que les séjours à l’étranger ne soient pas rédhibitoires pour les femmes ? Pour le Pr Cornet, il faut certainement inciter les candidates à participer à des activités internationales, premier pas vers de futures collaborations. Assouplir la durée obligatoire du séjour à l’étranger est également une priorité : ce n’est pas l’objectif qu’il faut repenser mais bien sa mise en forme. L’ULg pourrait aussi prodiguer – de manière plus proactive encore – les informations utiles et nécessaires en vue d’un prochain départ (aides financières accordées via l’ULg ou le FNRS, obligations administratives, etc.). Restera alors à valoriser ces expériences au niveau du département et de l’Institution.

 

* A l’ULg, en 2013, sur le budget ordinaire, on répertorie dans le corps académique 114 femmes et 420 hommes et, parmi les scientifiques, 112 femmes et 113 hommes.

Patricia Janssens
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