Février 2014 /231

Aedes albopictus

Le moustique tigre gratte à nos portes

MoustiqueTigre1Slimane Boukraa et Fara Raharimala, checheurs à Gembloux Agro-Bio Tech, avaient installé leur piège à moustiques dans une plateforme d’importation des pneus usagés pour recyclage située près du port d’Anvers (Vrasene). Un endroit qu’ils n’ont pas choisi par hasard : les moustiques tropicaux voyagent volontiers, sous forme d’oeufs et de larves, dans le creux des pneumatiques qui abritent souvent un peu d’eau stagnante. Et c’est déjà là qu’Aedes albopictus avait pointé le bout de sa trompe en 2000 avant de disparaître des radars pendant 13 ans. Quand il relève son filet, Slimane Boukraa constate que des centaines de moustiques sont emprisonnés. Une fois rentré au labo, il entreprend de les identifier un à un, à l’oeil nu puis avec son microscope. « Quand je l’ai eu au bout de ma pince, je l’ai tout de suite reconnu, se souvient-il. Avec ses pattes tigrées noires et blanches et son génitalia caractéristique, pas de doute : c’était bien le moustique tigre. »

Le diagnostic du chercheur – qui réalise actuellement une thèse de doctorat dans le laboratoire d’entomologie fonctionnelle et évolutive – sera confirmé quelques semaines plus tard par des analyses génétiques : le spécimen capturé à Anvers est semblable à plus de 99 % à une souche qui a envahi les Etats-Unis dans les années 1990 et 2000. Et l’usine de Vrasene importe justement des pneus en provenance des Etats-Unis. « Il est très probable, estime Slimane Boukraa, que notre moustique a franchi l’Atlantique sous forme de larve, à bord d’un de ces gros navires de transport qui débarquent au port d’Anvers. »

CaptureLarvesLa réapparition d’Aedes albopictus en Belgique l’été dernier a fait l’objet d’une publication scientifique en novembre 2013 dans la revue Parasite*. Mais les chercheurs de Gembloux n’ont pas attendu cette publication pour avertir leurs collègues de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers (IMT ), qui sont justement chargés d’un programme de surveillance des moustiques invasifs en Belgique. Les Anversois ont intensifié leurs recherches sur le terrain et ont découvert une véritable petite colonie de moustiques tigres dans les environs de l’usine, composée d’une quarantaine d’individus (larves et adultes).

Dans un communiqué publié début janvier, l’IMT ne cède pas à la panique : « Il n’y a aucune raison de s’inquiéter au sujet de la santé publique actuellement. Les risques que les moustiques tigres importés soient porteurs de virus comme la dengue ou le Chikungunya sont très faibles. Ces virus entrent le plus souvent dans les pays via un voyageur qui, à son tour, peut être à l’origine d’une infection autochtone. » Le moustique, en effet, n’est qu’un vecteur de ces virus. Dans la plupart des cas de maladies vectorielles, ce sont les êtres humains, ou d’autres animaux comme les oiseaux ou les rongeurs, qui sont les véritables hôtes (on dit “réservoir” lorsque l’animal est infecté sans être malade) du virus. Pour qu’une maladie se répande sur un territoire, il faut une conjonction de facteurs qui ne sont sans doute pas tous réunis chez nous actuellement : des personnes infectées par un arbovirus (transmissible par les arthropodes), des insectes vecteurs et un environnement propice (humidité et chaleur notamment). « De plus, insiste l’IMT, jusqu’à présent, tout indique que ce moustique exotique ne peut pas survivre à l’état adulte dans nos régions pendant l’hiver. Nos chercheurs continueront leur surveillance dans l’entreprise pour voir si les oeufs peuvent hiverner ou non. »

C’est à plus long terme que le moustique tigre pourrait poser un problème de santé publique, car les échanges internationaux et le réchauffement climatique risquent de favoriser l’implantation de cette espèce invasive sous nos latitudes. Depuis 30 ans, la progression mondiale d’Aedes albopictus est fulgurante. Avant 1970, selon l’OMS, neuf pays seulement avaient connu une épidémie de dengue. Ils sont plus de 100 actuellement ! 40% de la population mondiale seraient désormais exposés au risque. Et l’Europe n’est plus à l’abri d’une flambée de dengue. Les premiers cas de transmission “autochtone” de dengue ont été enregistrés en France en 2010. Une première flambée du Chikungunya a frappé le nord-est de l’Italie en 2007.

* Voir le site http://dx.doi.org/10.1051/parasite/2013054

Clément Violet
Photos © Slimane Boukraa
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