Février 2014 /231

Homes sweet homes

La vie dans les kots du Sart-Tilman

Il est des endroits qui donnent l’impression de n’avoir jamais changé et dont on ne sait pas a priori si c’est bon signe. Ainsi en est-il du home universitaire du Sart-Tilman, dernier foyer de l’Alma mater niché en lisière de forêt et ultime survivant d’une flotte qui en comptait jadis d’autres, tels les homes Brull – quai Godefroid Kurth – et Ruhl – boulevard de la Sauvenière.

Défi au temps

Home1Depuis presque 50 ans, les 360 petites chambres de 14 m² aux murs de béton mille fois repeints ont vu gamberger des générations d’étudiants bercés de rêves, puis quelquefois ranimés par de cruelles désillusions. Depuis la fin des années 70, l’esprit contestataire a accompagné la libération sexuelle, la société de consommation a fait son trou, les Erasmus sont apparus, les doubles sessions d’examens ne récompensent plus la fainéantise bonasse jusqu’au réveil printanier, mais les douches à deux portes rafraîchissent fidèlement les idées des têtes chevelues et les quatre plaques électriques de cuisson flanquées des robustes plans de travail des cuisines communes semblent avoir défié les siècles.

L’outil global a évidemment été entretenu, rafraîchi, réparé et remis aux normes au fil des ans. Le tapis des chambres est aujourd’hui progressivement remplacé par un vinyle plus hygiénique et l’internet câblé dans chaque chambre. Mais le reste semble quasiment immuable : agencement en “couples de douche” par duo de chambres, mobilier inusable, même odeur évanescente de cuisine qui plane dans les cages d’escalier, petites automobiles qui cherchent sans relâche leur place au bord des pelouses… Même les fêtes organisées au sous-sol ne sont qu’une déclinaison temporelle des objectifs poursuivis au fil des décennies : la fête, les rencontres… et de soudaines poussées de déménagements temporaires.

Après des décennies de turbulences, cette petite communauté disséminée dans les trois bâtiments interconnectés serait nimbée d’une sorte d’assagissement. Les habitants du “trèfle” feraient-ils maintenant davantage de tapage sur Facebook que dans les couloirs ? Le groupe “HST” compte 425 membres sur ledit réseau social, soit à peine plus que le nombre officiel de résidents qui, en raison de la politique de la porte ouverte (hormis lors des 4h Trottis), doit être augmenté des petit(e)s ami(e)s et naufragés de passage. « Je suis responsable du service logement depuis dix ans. Dans les premières années, le matin, on me signalait régulièrement que ça avait été la fiesta la veille et que les gens râlaient à cause du bruit. Cette année, je n’ai pas encore reçu une seule plainte, regrette presque Georges Habrand, responsable du service logement à l’ULg. Ce sont surtout les Erasmus qui étaient beaucoup plus festifs avant. Parmi ceux que l’on appelle maintenant plus volontiers les étudiants de mobilité, on dénombre moins d’échanges intra-européens qu’avec le reste du monde, à cause de la crise. Or les Africains, Brésiliens et autres Erasmus Mundus sont moins jeunes, souvent en deuxième cycle et moins portés sur la fête. Sans compter les professeurs invités, les participants aux défenses de thèses, les candidats aux examens d’admission… qui n’ont pas des âmes de trublions. »

Home2Si la tour 1 et le rez-de-chaussée de la 2 sont réservées à ces “non natifs”, avec 130 chambres qui servent plus de 1000 demandes par an pour des séjours d’une durée moyenne de trois mois (une seule chambre peut accueillir jusqu’à dix résidents différents sur une année), le reste est occupé par des étudiants belges qui déménagent parfois pour se regrouper par affinités à la rentrée. « Certains communs sont réputés festifs mais, dans d’autres, il ne se passe quasiment rien. Il y a évidemment des règles, mais la souplesse est de mise tant que ça ne va pas trop loin », résume Mathieu, un étudiant de 1er bachelier en biologie dont c’est la deuxième année aux homes.

Dans le hall d’entrée, deux étudiantes grecques bavardent tranquillement. « C’était ce que j’ai trouvé de moins cher sur internet, via le site de l’ULg. Mais si j’avais eu le choix, j’aurais pris un kot pour être plus proche du centre », regrette Katarina. Son amie Artemis, également en 2e bachelier de psycho, a obtenu une chambre pour quelques jours mais compte d’ailleurs « redescendre habiter au centre-ville pour l’ambiance, le shopping » et toutes ces activités qui manquent au Sart-Tilman. Si le lieu n’est effectivement ni parfaitement desservi par les bus ni très animé le week-end, ses avantages sont tout aussi évidents : les étudiants y trouvent plus de bus qu’à Tilff ou Angleur, les loyers adaptés aux revenus des parents démarrent à 206 euros par mois toutes charges et services compris (femmes de ménage, techniciens, accueil 24h/24) et les homes se situent à quelques mètres des premiers amphis.

Un home, un esprit

« Et puis, les anciens guident les adolescents qui remplacent les sortants, ce qui fait qu’un bon esprit se perpétue dans la continuité. Il n’est pas rare qu’ils partent ensemble en vacances après un an », relève Georges Habrand. « Mais on se sent quand même moins chez soi que dans un kot , ajoute Gillian, étudiant en médecine qui y réside depuis trois ans. Le vide du week-end est précipité par tous ceux qui rentrent dans leurs familles retrouver une ambiance plus personnelle. J’ai vu une fille fondre en larmes quand elle a débarqué dans un univers un peu triste. Puis, dès que les anciens sont venus la chercher, ça s’est bien passé. Ce home serait invivable sans l’ambiance ! »

Le conseil d’administration de l’université vient d’approuver un projet de nouveau bâtiment qui permettra d’augmenter les chambres de résidence sur son domaine dans quelques petites années (le projet de containeurs annoncé dans la presse est farfelu !). Mais tant que les anciennes cabines téléphoniques éclairées sans téléphone garderont leur place dans le couloir de l’entrée, on se dit qu’on n’a pas encore vraiment atteint le climax et que l’esprit “made in homes” profitera encore à quelques générations d’étudiants.

Fabrice Terlonge
Photos © J.-L. Wertz
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