Février 2014 /231
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Nina Bachkatov

Hot. Cool. Yours – Les JO de Sotchi ont commencé

BachkatovNina-3QNina Bachkatov connaît bien les anciennes Républiques de l’URSS pour les avoir arpentées alors qu’elle était correspondante pour le journal Le Soir, de 1986 à 1991. En 1992, elle crée à Bruxelles une agence de presse qui publie “Inside Russia and Eurasia”, laquelle offre des informations en continu sur le web. Professeur invité à l’ULg, Nina Bachkatov donne deux cours au sein du département de science politique.
A l’occasion des XXIIes Jeux olympiques d’hiver, elle a accepté de nous rencontrer.

Le 15e jour du mois : Les JO d’hiver en Russie, une aubaine pour le président Poutine ?

Nina Bachkatov : Indéniablement. Ce grand événement sportif et médiatique favorise la logique politique de Poutine. Cette rencontre sportive de haut niveau est clairement une affaire de prestige, au même titre que les JO de Pékin ou la coupe du Monde de football au Qatar. Il paraît évident que le choix du comité olympique, dicté par la logique sportive et par les retombées financières, sert aussi les volontés politiques.

De ce point de vue, il faut dire que l’occasion est belle pour les hommes politiques, car on estime que les JO seront suivis par 3 milliards de spectateurs grâce à un nombre de journalistes impressionnant. Depuis le G8 organisé en 2006 à Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine a compris l’importance de ce type de rencontres, en termes d’image et donc d’investissements. Tout est mis en oeuvre pour que les JO répandent dans le monde une image flatteuse de la Russie. Même le parcours de la flamme olympique a été extraordinaire puisqu’elle est allée au pôle Nord, dans les fonds marins et dans l’espace !

Le 15e jour : Que pensez-vous du choix de Sotchi ?

N.B. : Située sur les bords de la mer Noire, cette petite station balnéaire, très proche de l’Europe, se trouve au pied des montagnes du Caucase. L’endroit est à mon avis bien choisi pour tous les sports de neige, le ski de fond, le patinage, le hockey sur glace, etc.

L’un des objectifs des autorités russes est aussi de populariser ces sports car le pays a une grande tradition limitée à quelques disciplines. Investir dans les infrastructures à Sotchi répond également à une volonté de développer le tourisme de la région (que connaît bien Poutine pour y posséder une datcha). Quatre grands sites ont été aménagés par des compagnies étrangères, françaises et allemandes notamment, lesquelles ont obtenu des concessions sur 25 ans… Les réalisations sont assez spectaculaires et les investissements massifs : on parle de 51 milliards de dollars (dont 20% selon certaines estimations seraient le fait de la corruption) ! Ce sont les Jeux d’hiver les plus chers de tous. D’ailleurs, les critiques sont assez vives dans la population. Les habitants de Sotchi se plaignent de la transformation de leur cité et s’inquiètent pour l’avenir. Qui ira skier sur les bords de la mer Noire ? Les Russes ? C’est peu probable. Les Européens ? Rien n’est moins sûr. Comment va-t-on alors rentabiliser toutes ces installations sportives ?

Les optimistes peuvent toujours espérer que les polémiques autour de l’organisation de ces Jeux influenceront les choix futurs du comité olympique. Celui-ci veut assurer une rotation à travers les continents et promouvoir des sports nouveaux dans une série de pays, mais la mégalomanie qui accompagne désormais les grands événements sportifs donne une bien mauvaise image de l’idéal olympique. On connaissait déjà l’importance croissante de la “diplomatie sportive“, la tyrannie des sponsors et les salaires extravagants de certains athlètes de haut niveau. On ne peut plus continuer à encourager une escalade choquante dont Sotchi est une illustration, sans même parler de ce qui s’annonce au Brésil. C’est peut-être le moment de se souvenir des Jeux d’hiver de Lillehammer en 1994, à échelle humaine, respectueux de l’écologie, suivi par un public local passionné et qui a enchanté les sportifs. Certains diront bien entendu que c’était un autre siècle...

Le 15e jour : Le contexte social russe n’est guère rassurant…

N.B. : Les attentats de Volgograd en décembre dernier ont marqué les esprits. Le chef du mouvement islamiste radical – “l’émir du Caucase”, Dokou Oumarov – avait invité les “croyants” à mettre tout en oeuvre pour saboter les JO. Il avait en son temps revendiqué les attentats dans le métro moscovite. En convoquant les caméras du monde entier, le pouvoir russe court un risque, celui de voir les mécontents et les minorités profiter également de cette présence étrangère pour clamer leurs revendications.

Plus globalement, le non-respect des droits de l’homme et les atteintes à la liberté de presse reviennent régulièrement sur le devant de l’actualité. Des journalistes ont été assassinés, les Pussy Riot emprisonnées. Tout cela heurte la sensibilité occidentale. François Hollande et le président allemand Joachim Gauck ont annoncé qu’ils ne participeraient pas à la cérémonie d’ouverture. D’autres se sont excusés, Barak Obama et David Cameron notamment. Est-ce judicieux ? Je n’en suis pas certaine, sauf dans l’optique de leur propre opinion publique. Le Kremlin a souvent eu des relations tendues avec les pays occidentaux. L’opération diplomatique des JO vise aussi les pays émergents qui, eux, seront bien présents : la Chine, le Brésil, la Corée, l’Inde feront le déplacement. Poutine entend bien confirmer sa stature de chef d’Etat et attester de la grandeur de la Russie. Il doit aussi penser que les absents ont toujours tort.

Le 15e jour : Les mesures de sécurité ont été renforcées…

N.B. : Le Président a réagi vigoureusement aux attentas en accentuant les mesures de sécurité : 37 000 policiers sont postés dans  la ville olympique afin de rassurer la population et les délégations étrangères. Poutine n’entend pas se laisser déposséder de cette magnifique vitrine internationale. De plus, il aime les compétitions sportives et espère que les équipes russes remporteront des médailles : immanquablement, le sentiment de fierté nationale rejaillira positivement sur lui.

Poutine compte sur cette fierté russe, surtout en cas de podiums, pour faire taire les critiques. Par ailleurs, il espère attirer d’autres événements à Sotchi : le Grand Prix de Formule 1 ou une autre réunion internationale telle que le G8, par exemple.

Le 15e jour : La crise en Ukraine ne risque-t-elle pas de favoriser un regard plus critique sur la Russie et, indirectement, sur les JO ?

N.B. : Si l’Ukraine était à feu et à sang au moment de la cérémonie d’ouverture, cela serait gênant. Mais on resterait là sur le plan émotionnel et pas sur le plan politique puisque, jusqu’à présent, la Russie a pris soin de ne pas prendre parti pour l’un ou l’autre camp. Lors du sommet UE-Russie, Poutine a même déclaré que les accords signés en décembre resteraient d’application si l’opposition arrivait au pouvoir. Un autre exemple du pragmatisme de la diplomatie russe qui consiste à dialoguer avec les autorités en place, quelles que soient leur nature.

Propos recueillis par Patricia Janssens (le 6 février)
Photos © Jean-Louis Wertz
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