Mars 2014 /232
IdaUn film de Pawel Pawlikowski La profusion de belles images, même enserrées d’une esthétique léchée, ne peut garantir qu’on se trouve devant une oeuvre de qualité. A coup sûr, Ida fait partie de ces films qui en imposent visuellement. Immédiatement. Spontanément. Quelques images suffisent à s’extasier sur ce noir et blanc délicieusement sophistiqué, sur ces cadrages portés par l’audace, où une modeste volute de fumée dispersée dans l’immensité d’un écran pourtant réduit imprègne notre regard saisi, pris dans un plaisir béat et un peu coupable, du genre de ceux auxquels on tient comme à la prunelle de ses yeux de spectateur. Mais cette débauche de grâce cinématographique ne fait en rien écran à la pertinence du choix de la pénurie (de couleur, d’envergure) et de l’artifice du suranné : l’écriture de Pawlikowski est forte, la lumière du brillant chef opérateur Lukasz Zal rayonne chastement. L’esthétique presque monastique d’Ida retient difficilement le trouble qui s’en libère, faisant de chaque tableau l’expression d’une terrible question existentielle, tapie entre deux plans, entre deux femmes dont les vies se croisent comme des révélations. L’une, soeur Anna, une jeune orpheline prête à prononcer ses voeux, n’a rien connu d’autre que le dénuement d’un couvent de la campagne polonaise, où regards sévères et gestes répétitifs prennent pour cloître ce cadre serré et décentré voulu par Pawlikoswki. L’autre, tante Wanda, quadragénaire un peu fatiguée ou femme moderne fermement accrochée aux plaisirs pas toujours purs de la vie comme à son rôle de juge, s’occupe de régler leur sort aux “ennemis du peuple” et, avec eux, à de trop présents fantômes d’un passé pas si lointain. En quelques jours hors du couvent, comme pour mieux ordonner son monde avant son ordination, soeur Anna découvre, au contact de cette tante qu’elle n’avait jamais vue, sa judéité toute fraîche et avec elle, les restes d’un secret familial reçu en seul héritage. Anna est Ida ; le voile dévot levé sur ces origines fait en même temps remonter à la surface les éléments d’un road movie improvisé dans la Pologne des années 1960, coincée dans une joute sourde entre Staline et Jésus. Si la forme choisie pourrait paraître un peu attendue, parce qu’elle contribue à l’effort de projection du spectateur dans une époque révolue et austère, elle déjoue également les codes d’un classicisme daté. Ce format quatre tiers qui rappelle celui de la pellicule des origines, ce noir et blanc (ou plutôt cette gamme de gris) soigné hésitent entre recherche de spiritualité et expression d’une culpabilité : les visages, peints par le clair-obscur comme des statuaires voilées, filmés avec insistance comme les lueurs de l’âme (on pense à ces plans de reflets fugaces dans le pare-brise superposés à la figure d’Ida) sont coincés en bordure de cadre, découpés, décadrés, surcadrés, écrasés par les espaces vides qui les surplombent, portés par la tension qui pèse sur leurs épaules, dirigés vers les ombres du hors-champ. Chaque noir profond qui s’en échappe survient comme une délectable surprise dans le repli d’une image, refuge d’hantises en errance dans un monde où rien (ni personne) n’est tout noir, ni tout blanc, où la palette des nuances se perd dans l’infini.
Renaud Grigoletto
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