Mars 2014 /232
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Jean-Pierre Bourguignon

L’euthanasie des mineurs

BourguignonJeanPierreJean-Pierre Bourguignon est pédiatre et professeur au département des sciences cliniques en faculté de Médecine. Il est aussi responsable de l’Institut de formation et de recherche en enseignement supérieur (Ifres).

Le jeudi 13 février dernier – par 86 voix pour, 44 contre et 12 abstentions –, la Chambre a voté l’extension aux mineurs de la loi sur l’euthanasie, soit près de 12 ans après le vote de la loi sur la fin de vie des adultes (28 mai 2002). Le sujet est éthiquement sensible et les débats furent vifs ; médecins et experts se sont exprimés par voie de presse, certains se questionnant ouvertement sur l’intérêt de la loi. Entretien avec le Pr Jean-Pierre Bourguignon sur un sujet délicat.

Le 15e jour du mois : Quel est votre positionnement face à l’extension aux mineurs de la loi sur l’euthanasie ?

Jean-Pierre Bourguignon : Dans ma pratique de médecin, j’accompagne beaucoup de mineurs (et de parents) touchés par la maladie chronique, incurable au sens non-guérissable mais “soignable”, comme le diabète : le combat pour vivre le mieux possible. Les objectifs sont pareils pour les pédiatres cancérologues : toujours se battre pour la vie et, souvent, gagner des années voire des dizaines, avec l’efficacité grandissante des traitements ; parfois, se battre pour la fin de vie et gagner des journées avec les soins palliatifs ; plus rarement encore, le dernier combat, quand la maladie et la douleur sont au delà du soignable, celui pour mourir le mieux possible.

Ce combat ultime, des pédiatres l’ont mené avec leur bon sens, tant professionnel qu’humain, depuis des décennies. Quand le jeune patient, sa famille et l’équipe des soignants en arrivent là, c’est au bout d’un cheminement où ils ont été partenaires, où la communication a été construite, défaite et reconstruite au fil des événements. Ce dialogue essentiel n’a pas attendu une loi pour exister et n’en avait pas besoin.

Je trouve donc un peu désuet de baliser la fin de la route par un texte de loi qui précise notamment ceci : “Après que la demande du patient a été traitée par le médecin, les personnes concernées sont informées d’une possibilité d’accompagnement psychologique.” Soit ! Je suis personnellement favorable à une législation qui pose un cadre pour une décision aussi délicate, particulièrement par le positionnement nécessaire de trois pôles à la décision : le jeune patient, les parents et le médecin avec l’équipe soignante. Après le partenariat construit entre ces pôles dans les mois ou années de lutte contre la maladie, prendre du recul me semble en effet souhaitable pour que chacun se détermine et que les parents se sentent parties prenantes d’un choix mais pas porteurs d’une décision qui pourrait se muer plus tard en remise en question incessante, voire en culpabilisation.

Le 15e jour : Comment est-il possible d’évaluer la capacité de discernement d’un mineur ?

J.-P.B. : Subordonner la décision d’euthanasie à la capacité de discernement est, à mes yeux, à la fois une ouverture et un écueil. Une ouverture parce que s’enfermer dans des limites figées comme l’âge n’a pas de sens dès lors que la maturation du discernement est un processus variable individuellement et en fonction des circonstances pour un même sujet ; un écueil parce que le discernement du jeune ne s’inscrira jamais dans le tout ou rien. Les capacités d’abstraction et de projection dans le temps évoluent considérablement avec l’adolescence. Dans quelle mesure cette maturation influence-t-elle la décision du jeune patient ? A nouveau, l’écoute du verbal et du non-verbal sera cruciale pour que le jeune puisse s’exprimer au moment où il choisit d’être entendu.

Maintenir le dialogue avec lui à ce sujet est capital pour ne pas l’enfermer dans sa souffrance. Ce n’est pas anodin, parce que notre réaction première pourra être celle-ci : “Un jeune qui dit vouloir mourir, c’est contre-nature, c’est insensé ; dès lors, ce n’est pas sa volonté réelle, c’est un appel à l’aide.” Je comprends cette réaction et c’est celle qui habite tout pédiatre dont moi-même : regarder d’abord l’enfant et l’adolescent comme le potentiel de vie qu’il porte, même quand ses propos ou ses attitudes sont en porte-à-faux. Mais cette conviction intime ne peut nous rendre aveugles et sourds vis-à-vis d’un jeune qui nous interpellerait réellement pour en finir.

Le 15e jour : Puisque les soins palliatifs existent, était-il vraiment nécessaire de légiférer en la matière ?

J.-P.B. : Comme je l’ai déjà indiqué, je reconnais à cette loi une utilité mais elle ne répond pas pour autant à une nécessité. Alors, puisque “nécessité fait loi”, pourquoi une loi sans nécessité ? Je conçois que la réponse des uns et des autres variera selon la place qu’ils tiennent dans notre société. Pour ma part, ce sera à nouveau le pédiatre qui s’exprime. A côté de la délivrance que la loi signifie pour le jeune souffrant d’une douleur physique devenue insupportable, elle est aussi un choix de société qui pourrait contribuer à l’apaisement des parents, lorsque ceux-ci auront pu dépasser le deuil.

Pour les médecins, la loi crée des conditions propres à réduire les risques de dérapage. Toutefois, je ne suis pas convaincu que la gestion des situations de fin de vie par les pédiatres demain se trouvera vraiment différente d’hier. Il me paraît en tout cas clair que législation n’est pas légitimation quand la décision à prendre touche, dans les tréfonds de chacun, nos rapports à la vie et à la mort. Le danger serait de ne pas en garder conscience. In fine, après que le document a été signé par le mineur souhaitant mettre un terme à ses souffrances (au moins un mois avant l’issue fatale), c’est le médecin qui pose, en âme et conscience, l’acte entraînant la fin de vie.

Le 15e jour : Comment expliquez-vous le fait que la Belgique soit, après les Pays-Bas, le premier pays au monde à autoriser l’euthanasie pour les mineurs gravement malades ?

J.-P.B. : Si le pédiatre que je suis avait un blanc-seing pour porter devant nos mandataires publics des questions à résoudre prioritairement pour promouvoir la santé et la qualité de vie des enfants et des adolescents, d’autres questions que l’euthanasie viendraient en tête de liste, comme l’encadrement et l’accompagnement des adolescents malades ou en difficulté. Je ne me sens donc pas en position de formuler autre chose que le souhait suivant : que la qualité de vie des mineurs adolescents dans notre société puisse trouver encore davantage de place et d’attention, dans le sillage de la loi qui vient d’être votée. Ce pourrait être une position avant-gardiste dont je me réjouirais pour notre pays.

Propos recueillis par Henri Deleersnijder
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