Avril 2014 /233

Le nom de l’enfant

Saga autour de la nouvelle loi qui devrait bientôt élargir les choix possibles

Dans nos régions, l’origine de la généralisation de l’attribution d’un nom de famille au nouveau-né date du Moyen Age, époque où l’Eglise a mis en place une entreprise de stabilisation et de moralisation de la société. Ce mouvement va concourir à rendre primordiaux les liens du lignage et va favoriser l’apparition des noms de famille. Au début, chaque individu porte un seul nom, composition du prénom du père et de celui de la mère, mais ce système qui ne donne qu’une conscience limitée du lignage est remplacé au XIIe siècle, dans les familles aristocratiques d’abord, par le système qui nous est familier. A cette époque, l’attribution du nom du père au nouveau-né vient en fait renforcer symboliquement le modèle de la famille patriarcale où l’autorité familiale, politique et économique est détenue par les hommes. Même le modèle espagnol de l’attribution du nom du père et de celui de la mère qui nous paraît plus contemporain s’inscrit dans ce cadre. Il a été institué pour garantir et mieux équilibrer le pouvoir des deux lignées de l’enfant et éviter la disparition même de leur nom en cas de naissance de seules filles dans un système qui attribuerait automatiquement le nom du père à l’enfant.

Ce qui devrait bientôt devenir la nouvelle loi belge en matière de choix du nom de famille est l’aboutissement d’un processus qui aura pris une dizaine d’années. La proposition de loi qui en résulte met fin à une tradition séculaire d’octroi du nom du père à l’enfant dans notre pays. Elle s’inscrit en droite ligne des transformations en cours dans la société au niveau de la conception de la famille, des unions, de l’amour, du mariage et de la parenté. Les types de famille et de trajectoires familiales des enfants et des adultes se sont diversifiés et le nouveau système permettrait ainsi mieux de coller aux réalités nouvelles, tout en permettant aux enfants d’être porteurs du nom de leurs deux parents. De son côté, le modèle de société démocratique défendu par l’Europe plaide fortement en faveur de cette évolution qui présente un caractère symbolique fort en matière d’égalité hommes/femmes et peut favoriser les changements de fait. Peu de Belges savent que de nos jours la Belgique, la France et l’Italie sont épinglés par l’Europe en ce qu’ils sont désormais les seuls à continuer à donner la prééminence paternelle au nom de famille. Au Royaume-Uni, la liberté du nom transmis est totale. En Allemagne ou au Danemark, les parents peuvent choisir soit le nom conjugal soit un de leurs deux noms…

Au moment où l’information de cette proposition de loi a commencé à être diffusée dans la presse et selon une proposition de texte adoptée le 25 février en commission justice de la chambre, il était prévu que les parents puissent choisir le nom de l’enfant parmi celui du père ou de la mère ou encore en combinant ces deux noms dans l’ordre désiré. Par défaut ou si querelle il y a, c’est l’option du nom composé, nom du père en tête qui devait être adoptée. Néanmoins, ces derniers jours, certains partis politiques et personnalités, y compris au sein de la majorité qui avait pris position en faveur de cette proposition, ont commencé à hésiter, voire à faire volte-face. En période électorale et au vu des mouvements sociaux récents défendant les valeurs traditionnelles en France ou en Espagne, ils hésitent à renoncer définitivement à la primauté du nom du père et veulent éviter d’être perçus par une partie de l’électorat comme mettant en danger les fondements de “la” famille. Ce 19 mars, après un débat houleux, le projet de loi a été accepté de justesse mais sous sa forme amendée : par défaut ou en cas de désaccord entre les parents, c’est le seul nom du père qui sera retenu.

GavrayClairePour certains, cette modification représente un retour en arrière indiscutable, car il est très facile d’argumenter le désaccord pour octroyer le seul nom du père comme par le passé. Pour d’autres, c’est un bon compromis de façon à ne pas “choquer” des catégories de population et à satisfaire l’Europe dont la seule exigence est de prévoir la possibilité de visibiliser le nom de la mère dans le patronyme.

Une chose est sûre : on ne peut que constater la montée de discours (auquels une certaine frange de l’opinion publique adhère) selon lesquels l’égalité sexuée mettrait en danger la famille et les valeurs traditionnelles et selon lesquels les femmes seraient allées “trop loin” jusqu’à avoir pris le pouvoir dans nos sociétés. Le projet de loi sur les noms de famille risque d’être présenté par certains leaders d’opinion réactionnaires comme une preuve supplémentaire d’une féminisation tentaculaire et dommageable de la société. Les tentatives actuelles de discréditation des études “genre” s’inscrivent en droite ligne de ce mouvement. Les prochaines semaines nous diront ce qu’il adviendra de ce projet de loi et s’il faudra ou non attendre la prochaine législature pour que s’appliquent de nouvelles règles.

Claire Gavray
chef de travaux à l’Institut des sciences humaines et sociales et
à la faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation
(ndlr : article rédigé le 2 avril)

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