Mai 2014 /234
L’intelligence artificielle au secours de l’hôpitalLiège accueille le congrès Giseh, du 7 au 9 juillet
Sans nul doute, l’intelligence artificielle va bouleverser l’exercice de la médecine. Demain ou après-demain, effectuer l’examen d’un malade à distance, établir un diagnostic, voire améliorer le traitement sera possible grâce à internet et à des logiciels adéquats déjà disponibles. La télémédecine n’est plus une fiction : suivre le taux de glycémie ou la pression artérielle chez la femme enceinte ou chez un patient diabétique, par exemple, peut déjà se réaliser à distance. Gestion et ingénierieParmi les nombreux avantages émanant de ces nouvelles technologies, celui de réaliser des économies dans le secteur de la santé n’est pas le moindre. Adapter les évolutions technologiques au domaine hospitalier devient un enjeu stratégique soutenu par les pouvoirs publics qui gardent toujours un oeil sur les dépenses de la Sécurité sociale. La démarche est déjà initiée un peu partout en Europe, au CHU de Liège également qui accueillera – en collaboration avec l’Université – un congrès sur la question en juillet prochain. Après Clermont-Ferrand en 2010 et Québec en 2012, c’est en effet à Liège que se tiendra la 7e édition du congrès francophone bisannuel “gestion et ingénierie des systèmes hospitaliers” (Giseh), du 7 au 9 juillet. Bien qu’il soit généralement admis – en Europe particulièrement – que la santé n’est pas une marchandise et ne peut dès lors se concevoir sous l’angle du marché, l’ère du management hospitalier est devenue réalité. Lors du congrès, à partir de la question volontairement provocante qu’il pose – “L’hôpital est-il une entreprise comme les autres ?” –, plusieurs thématiques seront abordées, en particulier celles des systèmes d’information médicaux, de la logistique intra et extra-hospitalière, de l’ingénierie, du management, de la gestion financière, de la gestion des ressources humaines et matérielles, ainsi que de la gestion des risques hospitaliers. Résolument conçu autour du triptyque “hôpital-université-entreprise”, le congrès réunira environ 200 participants, issus principalement du monde hospitalier (médecins, cadres de santé, pharmaciens, etc.) et académique (sciences de l’ingénierie, médecine, sciences sociales, sciences de gestion). L’administrateur délégué du CHU, Julien Compère, et le Pr Didier Van Caillie ouvriront les débats le lundi 7 juillet, lors d’une conférence plénière consacrée à la question. L’hôpital, une entreprise comme les autres ?Pour le Pr Philippe Kolh – coorganisateur du congrès avec Julien Compère et le premier vice-recteur Albert Corhay – la réponse à la question initiale n’est pas aisée : « Je dirais oui et non ! Non parce que la santé ne doit pas être soumise aux lois du marché, mais oui parce que le management hospitalier évalue l’activité et la performance des institutions. Oui aussi parce que l’hôpital doit réaliser des bénéfices mais non parce qu’il ne les rétrocède pas à l’actionnaire. Au contraire, il les réinvestit dans l’outil : l’hôpital à cet égard relève davantage de l’économie sociale. Alors que l’entreprise privilégie la rentabilité, l’hôpital préfère la qualité et l’équité d’accès aux soins. Quant à son organisation, elle relève du tertiaire, centrée sur l’humain et non pas sur un produit. » Le Pr Didier Van Caillie (HEC-UL g), directeur du Centre d’étude de la performance des entreprises, auteur de plusieurs articles sur la gestion hospitalière en Belgique, en Europe et dans le monde, émet un avis plus tranché : pour lui, l’hôpital est sans conteste une entreprise. « D’une part, il est confronté aux mêmes défis que les sociétés : il doit rendre un service complexe dans une grande incertitude, en amont (quels patients va-t-il recevoir ? combien ? avec quelle gravité ?, etc.) comme en aval (quelles seront les conséquences en matière de soins, de pharmacie, etc. ?). D’autre part, il doit coordonner différentes ressources dans un contexte particulier puisque le service qu’il offre doit être continu, jour et nuit, 365 jours par an. » En Belgique, les hôpitaux sont subventionnés, pour une part, par l’Etat et dès lors comptables des deniers publics. « Certes, la notion d’efficience budgétaire n’est pas celle de l’entreprise : l’objectif des établissements de soins est de fournir au patient le bon soin au bon moment, avec la meilleure qualité de prise en charge possible et en utilisant efficacement les ressources humaines et matérielles, reprend le Pr Van Caillie. Contrairement aux Etats-Unis – à l’Angleterre et à la France dans une moindre mesure –, les hôpitaux belges n’ont pas d’objectif commercial, mais les pouvoirs publics leur réclament une gestion efficiente de leurs ressources. » Or le matériel requis est très divers, de pointe et onéreux. Et le rythme de travail imposé au personnel, très éprouvant : l’urgence est la norme dans les couloirs, les laboratoires et les salles d’opération. Si les soins de qualité apportés aux patients demeurent bien au centre de l’activité médicale, la volonté de ceux qui nous gouvernent est d’inciter l’hôpital à acquérir son autonomie financière. « Le patient a donc une double acception lorsqu’il est admis à l’hôpital, poursuit le Pr Van Caillie, c’est un malade et un numéro de dossier ! » Eviter le gaspillage de temps à toutes les étapes du processus d’hospitalisation (accueil, soins, pharmacie, retour à la maison) devient une obsession pour la direction médicale soumise à de plus en plus de pressions de la part du gestionnaire politique. Dans cette logique, le recours aux outils logistiques innovants permet de modéliser et d’optimiser les ressources utilisées, tant pour les différents flux (médicaments, repas) que pour les tâches de soins (soins infirmiers, bloc opératoire, urgences, etc.). Lors du congrès, plusieurs sessions seront consacrées au thème de l’ingénierie du système de soins. Autre temps fort du congrès, le lundi 7 juillet, en plénière toujours, une table ronde sera consacrée au dossier médical informatisé à laquelle prendra part le Pr Philippe Kolh, directeur des systèmes d’information du CHU. « Depuis 2006, le CHU de Liège est entré progressivement dans l’ère du paperless, ce qui a conduit à de nombreuses modifications dans l’organisation du travail, par exemple à la mise en place du “dossier médical informatisé” (ndlr : on parle aussi du “dossier patient informatisé” – DPI). L’objectif est de constituer un dossier complet du patient qui puisse être interrogé sur le serveur par l’ensemble du personnel soignant. Toutes les consultations, les résultats d’analyse, les prescriptions, les radios, … sont accessibles, ce qui offre à chaque praticien une vue plus globale de la personne qui se trouve devant lui. » A noter que le patient, accompagné par un médecin, peut également consulter son dossier. Si le personnel a été mis à contribution – les médecins, infirmières, techniciens de laboratoire doivent maintenant noter chaque acte dans le DPI –, le CHU a dû investir considérablement dans le matériel informatique, acquérir des chariots spécifiques pour les médecins et les infirmiers et installer des bornes wifi dans l’hôpital, par exemple. Concrètement, la gestion des rendez-vous médicaux est confiée à un call center. Les opérateurs ont accès à tous les agendas des médecins du CHU. Un système qui permet, entre autres avantages de la formule, un rappel automatique des rendez-vous par sms. La gestion des 925 lits de l’hôpital est également facilitée par l’introduction de l’informatique : la disponibilité de places dans les services médicaux (celui des urgences, en particulier) est immédiatement apparente et le taux d’occupation des lits journellement consultable. « Ce sont des informations stratégiques pour la direction, souligne Philippe Kolh, car le CHU – comme les autres hôpitaux – est financé pour partie (35% à peu près) par un budget spécifique accordé par le Ministère selon le nombre de “lits justifiés”, c’est-à-dire de lits occupés par des patients pendant une durée définie selon la pathologie. Les informations envoyées doivent donc être fiables et complètes : du point de vue de l’hôpital, mieux vaut un lit vide qu’un lit non-justifié. » Robots dans la pharmacieL’administration des médicaments est également l’objet de toutes les attentions. La “prescription informatisée des médicaments” fait déjà l’objet de nombreuses publications. A l’heure actuelle, près d’un tiers des lits du CHU bénéficient de ce système qui vise à sécuriser toutes les étapes liées au traitement. En cardiologie par exemple, le médecin établit sa prescription, l’insère et la valide dans le système informatique qui l’adresse à la pharmacie. Celle-ci prépare les médicaments de chaque patient et les fait parvenir à son nom, chaque jour, dans le service. « Cette procédure, déjà en vigueur à Mont-Godinne (UCL) et à UZ Brussel (VUB) notamment, est en bonne voie au CHU de Liège, poursuit Philippe Kolh, et nous allons acquérir deux robots pour aider l’unité de pharmacie. » Perpétuellement sur le fil, l’hôpital doit faire face à l’imprévu et à l’imprévisible, avec des contraintes de plus en plus nombreuses. Pour le Pr Van Caillie, « il y a une tension permanente entre les responsables des unités de soins qui sont au chevet des patients et la direction, gestionnaire de l’ensemble. Un des principaux défis de l’hôpital est dès lors de transformer cette “tension permanente” en “tension créative”, en parvenant à unifier l’ensemble des parties prenantes de l’hôpital autour d’un objet unique et centralisateur, le bien-être du patient ».
Patricia Janssens
Photos : J.-L. Wertz Sur le m�me sujet :
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