Septembre 2014 /236

Sous les pierres, la Préhistoire

Traceolab, un laboratoire qui trace

RotsVeerleChercheuse qualifiée du FNRS depuis 2011, Veerle Rots, docteure en archéologie de la KUL, a obtenu en 2012 une bourse européenne ERC Starting Grant grâce à laquelle elle a lancé à l’université de Liège un laboratoire de tracéologie, Traceolab, consacré à l’analyse des traces et résidus présents sur les outils préhistoriques.

Le 15e jour du mois : Qu’est-ce que la tracéologie ?

Veerle Rots : La tracéologie consiste en l’étude des traces, macro ou microscopiques, laissées sur les outils par leur utilisation sur une matière bien précise. Par exemple, dans le cas des outils préhistoriques en pierre, il peut s’agir de minuscules fractures sur le bord utilisé ou encore d’un aspect lustré, produites lorsque l’on gratte une peau, que l’on prépare un épieu en bois ou que l’on abat un animal à l’aide de projectiles. On peut également retrouver des résidus de ces matières sur les outils.

Le 15e jour : Votre laboratoire, le Traceolab, est actuellement consacré à une thématique bien précise...

V.R. : Oui, il s’agit surtout de l’étude des techniques d’emmanchement des outils en pierre. En effet, certains outils étaient utilisés non pas à mains nues mais comportaient un manche en bois destiné à faciliter le travail. Il peut également s’agir de pointes fixées sur des hampes pour créer des armes de jet. Le problème, c’est que ce manche n’est retrouvé par les archéologues que dans des cas très exceptionnels, et généralement dans des contextes assez récents à l’échelle de la Préhistoire. C’est ici qu’intervient la tracéologie. Des expérimentations ont montré que l’emmanchement d’un outil laisse des traces très particulières. Elles témoignent du type de manche, de la manière dont il était fixé ainsi que de l’intensité et de la façon dont l’outil a été utilisé. Le type de manche va également déterminer la forme donnée à l’objet en pierre. Finalement, la pierre n’est qu’un élément remplaçable, tandis que le manche va être réutilisé aussi longtemps que possible. En Ethiopie, certains manches se transmettent de génération en génération au sein de la tribu !

Le 15e jour : Qu’est-ce que l’étude de ces traces apporte à la connaissance de l’évolution humaine ?

V.R. : Ajouter un manche à un outil démontre les capacités intellectuelles complexes de nos ancêtres : il faut pouvoir associer deux éléments totalement différents pour en créer une entité bien plus efficace. Cela montre qu’ils étaient aussi capables de prévoir une longue chaîne de gestes et d’opérations afin de résoudre le problème qui se présentait à eux.

Le 15e jour : Un raisonnement complexe qui serait propre à notre ancêtre direct, Homo sapiens ?

V.R. : C’est ce qu’on a longtemps cru : que parmi les espèces humaines anciennes, seul l’homme de Cro-Magnon était assez intelligent pour produire de tels outils. Mais les études tracéologiques, en complémentarité avec les autres disciplines archéologiques, ont permis de démontrer que les hommes de Néandertal, plus anciens qu’Homo sapiens, ont eux aussi fabriqué des manches pour leurs outils ainsi que des projectiles utilisés pour la chasse. Il s’agit cependant d’outils différents et ce sont ces différences, ces évolutions que nous essayons d’expliquer dans le cadre du projet du Traceolab. La tracéologie permet d’obtenir des résultats complémentaires sur la compréhension d’un site archéologique, données spécifiques qui ne peuvent être acquises autrement. Ce n’est pas une technique de laboratoire qui produit des anecdotes. Nous devons arriver à raconter l’histoire des outils et, par-delà, celle des hommes qui les ont utilisés.

Le 15e jour : Le Traceolab est également le lieu de nombreuses collaborations...

V.R. : Oui, le projet nécessite d’effectuer beaucoup de comparaisons entre des sites préhistoriques afin de couvrir à la fois une grande aire géographique et une longue période de temps, le but étant de mettre en évidence les évolutions au cours des millénaires. Nous allons donc travailler sur des sites belges fouillés par l’ULg, et aussi sur ceux situés en France, en Allemagne, en Italie ainsi que dans plusieurs pays d’Afrique et au Proche-Orient. Il s’agit de collaborations avec des universités comme celles de Tübingen ou de Ferrara ou des Instituts de recherche comme le CNRS ou l’Institut national de recherches archéologiques préventives en France. Un échange d’expertises avec l’université de Wollongong, en Australie, est également prévu. Les laboratoires de tracéologie sont rares et aucun ne travaille vraiment sur le Paléolithique et la problématique de l’emmanchement...

Le 15e jour : Traceolab a donc de véritables spécificités au niveau européen ?

V.R. : Effectivement, il y a un côté unique à ce que nous développons ici à Liège. En plus des collaborations autour de la problématique de l’emmanchement, nous mettons en place un vaste panel d’expérimentations afin de produire une collection d’outils de référence. Elle compte actuellement plus de 1500 pièces et servira non seulement pour les projets doctoraux et post-doctoraux, mais aussi pour la formation des étudiants de master qui souhaiteraient s’impliquer dans le cadre de mémoires. Au sein de cette partie expérimentale, nous travaillons en étroit partenariat avec le Préhistomuseum à Ramioul-Flémalle et le Centre d’étude des techniques et de recherche expérimentale en Préhistoire : l’un et l’autre ont une expérience pratique dans le domaine qu’on ne peut trouver ailleurs. Ce sont ces spécificités qui nous permettront de jouer un rôle au niveau international.

Informations sur le site http://web.philo.ulg.ac.be/prehist/traceolab/

Propos recueillis par Elise Delaunois
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