Septembre 2014 /236

L’aquaponie dans la boîte

Equipements remarquables : la Paff Box en test à Gembloux

PaffBoxA Gembloux, on adore les grosses blondes paresseuses. Inutile de s’indigner ni de sortir les drapeaux féministes ; il s’agit, ici, d’un constat tout ce qu’il y a de plus sérieux : la “grosse blonde paresseuse” est, en effet, une variété de laitue testée depuis quelques mois dans la Plant and fishing farming – “Paff Box” en raccourci – du laboratoire de phytopathologie intégrée et urbaine du Pr Haïssam Jijakli (Gembloux Agro-Bio Tech). Ce végétal au nom évocateur n’est d’ailleurs pas le seul à intéresser l’équipe de ce spécialiste de l’agriculture urbaine : des végétaux aussi prisés du consommateur que le basilic, la menthe, la roquette, les épinards, les poivrons, les aubergines et d’autres variétés de salades ont également eu les honneurs de l’aquaponie.

L’aquaponie ? Il s’agit d’un système combinant l’aquaculture et l’hydroponie. En résumé : au lieu de faire pousser les légumes dans l’eau tout en les bombardant de fertilisants d’origine pétrochimique (75% des salades flamandes sont ainsi “cultivées” pour la grande distribution), on profite d’un autre acteur dont les services écosystémiques sont bien plus intéressants : les poissons ! Grâce à un biofiltre contenant des milliards de bactéries, les déjections de ces animaux (nourris avec des farines végétales) sont dégradées en éléments minéraux assimilables par les végétaux et tout particulièrement par les légumes riches en feuilles, gourmands en nitrates.

Tilapias au menu

Voilà pour la théorie. Mais concrètement, comment cela fonctionne-t-il ? Les premiers essais sont très prometteurs. En avril dernier, une première production de tilapias issue de cette unité expérimentale a pu être consommée. Saine et délicieuse. Les poissons ont permis, en six semaines, de produire des laitues sur une surface de 20 m2. Dans un tel circuit fermé, l’économie d’eau, filtrée par les plantes, est considérable : pas loin de 90 % par rapport à un système classique d’hydroponie. La prouesse tient aussi dans l’espace minimaliste utilisé, la “Paff Box” occupant l’espace d’un conteneur à double étage. En bas, deux bassines à poissons, l’installation électrique et le biofiltre. En haut, une succession de bacs à végétaux, exactement comme dans la serre d’un jardinier amateur. Sauf qu’ici l’eau est partout, baignant les légumes et les plantes ou les irriguant à intervalles réguliers (c’est l’une des expérimentations en cours).

JijakliHaissamLa “Paff Box” et l’aquaponie, des “machins” à la mode ? Le Pr Jijakli n’hésite pas à le reconnaître : ces deux concepts sont bien dans l’air du temps. Celui de la production décentralisée, autonome et écologique. Il est donc d’autant plus urgent de leur définir un cadre conceptuel scientifique et rigoureux. Haïssam Jijakli rappelle le contexte de ses recherches. « Selon les Nations Unies, 75 % de la population mondiale seront citadins en 2050 et il y aura alors plus de 9 milliards de bouches à nourrir. Il faut impérativement inventer de nouveaux moyens de production, beaucoup plus économes en espace, mais aussi plus efficients sur les plans énergétique et économique. Si de nombreuses études expérimentales ont déjà été menées aux Etats-Unis et en Australie, on manque par contre de données scientifiques en Europe dans le champ de l’aquaponie. »

Enrichir l’arsenal alimentaire

A côté de la stricte production de poissons et de légumes, une telle unité poursuit d’autres objectifs. Ecologiques d’abord : pas de produits phytos, ni d’antibiotiques dans la “Paff Box” ! Energétiques ensuite : la production locale pourrait, demain, être alimentée par des panneaux solaires ou par les nombreuses pertes de chaleur en ville qui seraient récupérées. Sociales enfin, grâce à son appropriation potentielle par des publics précaires ou des comités de quartier (le CPAS de Namur a déjà manifesté son intérêt). « Il ne s’agit évidemment pas, ici, de se substituer à l’agriculture classique – par exemple à la production de céréales – mais de compléter celle-ci par un mode de production locale et à haute valeur ajoutée. » Et de signaler qu’en moyenne, les aliments consommés en France ont parcouru 5000 km avant d’aboutir dans les assiettes. Bonjour, l’empreinte écologique…

Depuis un an, la “Paff Box” accueille les travaux de fin d’études des futurs bioingénieurs (2e master). Dans le cadre du projet “Verdir”, une unité pilote à vocation industrielle sera probablement installée sur l’ancien site industriel des Acec à Herstal en 2015. En attendant, la “Paff Box” doit relever le défi de la rentabilité économique aujourd’hui à l’étude. De nouveaux systèmes et équipements sont également testés : quels substrats utiliser pour la croissance des plantes ? Comment irriguer celles-ci au mieux ? Comment prévenir les risques sanitaires ? Comment répondre aux normes de type Afsca ? Quatre personnes, en ce moment, y travaillent, d’arrache-pied.

Philippe Lamotte
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