Octobre 2014 /237
La vente de LucerneLa Cité Miroir expose des oeuvres vendues aux enchères en 1939
Le 17 octobre prochain signera l’ouverture d’une exposition exceptionnelle sur le sol liégeois : L’Art dégénéré selon Hitler. Installée au coeur du joyau moderniste qu’est la Cité Miroir, elle revient sur un épisode marquant de la propagande artistique menée par les nazis, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale : la mise en vente à Lucerne d’oeuvres d’art du patrimoine muséal allemand, qualifiées plus tard de “dégénérées” par la doctrine nazie. OEuvres décadentes30 juin 1939, Lucerne. La galerie Fischer accueille sous son toit une vente particulière. Avec un catalogue riche de 125 oeuvres, elle rassemble les créations de 39 artistes, dont certaines sont signées Pablo Picasso, James Ensor ou encore Vincent Van Gogh. Bijoux de la production moderne, elles ornaient les murs des musées publics allemands jusqu’à leur retrait par le Parti national-socialiste. Si leur mise en vente devait constituer une opération lucrative (la première d’une longue série) pour le IIe Reich, les chiffres n’ont jamais atteint les espérances nazies : outre la volonté de ne pas financer la menace grandissante que représentait alors l’Allemagne, les acheteurs s’étaient préalablement accordés pour éviter la surenchère. Photo : Chevaux au pâturage. Franz Marc. Ainsi, malgré l’important afflux d’amateurs étrangers, 85 oeuvres seulement sont adjugées, nettement en-dessous de leur valeur estimée, et cette tentative de gonfler les caisses de l’État allemand restera finalement lettre morte. Si la vente de Lucerne est un relatif échec pour ses organisateurs, elle fournit par contre à Liège quelques-uns de ses fleurons en matière d’art moderne. En effet, consciente de l’opportunité à saisir, la Cité ardente dépêche une délégation – dotée d’un budget de 5 millions de francs belges – en Suisse, afin d’acquérir certains des chefs-d’oeuvre. Notamment composée du directeur de l’Académie des Beaux-Arts Jacques Ochs, du futur ministre Auguste Buisseret et du rédacteur en chef du journal La Meuse Olympe Gilbart, elle revient avec neuf tableaux exceptionnels, dont La famille Soler de Picasso, Le sorcier d’Hiva Oa de Gauguin et La maison bleue de Chagall. Malgré l’intérêt particulier que suscite actuellement la vente de Lucerne, cet événement précis n’est qu’un des aboutissements d’un processus plus large initié au début des années 1930 : lors de l’arrivée d’Hitler au pouvoir, le ministère de l’Education et de la Propagande met en place un projet d’épuration artistique, visant l’art dit “dégénéré”. Jetant son ombre sur tous les domaines de la création, cette notion d’entartete Kunst s’applique à des oeuvres jugées décadentes et contraires aux valeurs allemandes ; outre les origines ou l’orientation politique des artistes, elle vise également la subjectivité, l’individualisme et des thématiques considérées comme subversives (dont la mort, l’antimilitarisme ou encore la prostitution) ainsi qu’un traitement formel en rupture avec l’art classique. Cependant, cette notion d’“art dégénéré” resta relativement ambiguë et contradictoire – certains dignitaires nazis étant eux-mêmes collectionneurs d’art moderne – et créa des divisions au sein même du Parti. Une exclusivité liégeoiseProjet de longue haleine, l’exposition L’Art dégénéré selon Hitler se prépare depuis une douzaine d’années déjà, avec le concours de l’ULg. En effet, le Pr Jean-Patrick Duchesne, spécialiste de l’histoire de l’art de l’époque contemporaine, est le commissaire scientifique de cet événement sans précédent qui, outre une trentaine de tableaux présents à Lucerne, se nourrit de nombreux documents historiques esquissant le contexte de la vente. Au-delà des murs de la Cité Miroir, cette thématique compte également investir d’autres lieux culturels incontournables, comme le musée des Beaux-Arts de Liège ou les Collections artistiques de l’Université. Une page d’art et d’histoire à découvrir jusqu’au 29 mars 2015.
Julie Delbouille
Photo : Musée des Beaux-Arts de Liège - Ville de Liège
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants
|