Novembre 2014 /238

Droit à l’image

La jurisprudence européenne évolue

Pas content, Iggy Pop. Même si c’était pour défendre une bonne cause – la lutte contre la torture –, le chanteur américain n’a pas du tout apprécié figurer sur les affiches d’Amnesty Belgique. Qui plus est, défiguré à coup d’outils Photoshop, son portrait affublé d’une pseudo citation ironique : “L’avenir du rock’n’roll, c’est Justin Bieber”. Le tout diffusé lors d’une vaste campagne publicitaire en juin dernier… sans son autorisation. L’ONG a fait le buzz, mais a été contrainte de présenter ses plates excuses. Etonnamment, elle n’avait pas envisagé que l’imagination de ses équipes créatives entrait en conflit avec le respect du droit à l’image.

L’image et le web

A l’heure d’internet, jamais il n’a été aussi simple de dénicher puis de diffuser des images. Bien que cela soulève toute une série de questions. Que faire si sa photo est publiée sans son consentement sur les réseaux sociaux ? Les journaux peuvent-ils reprendre sans autorisation un portrait trouvé sur le net ? L’image que je publie sur un blog est-elle automatiquement publique ? Peut-on retirer une autorisation donnée de figurer dans une publicité ?

C’est pour tenter de répondre à ce type d’interrogations que Marc Isgour, avocat spécialisé en droit de la communication et maître de conférences à l’ULg, vient de publier chez Larcier un ouvrage entièrement dédié au droit à l’image*. Un livre qui n’aborde pas uniquement les interrogations suscitées par le web, mais qui brasse beaucoup plus large, depuis le droit à l’image d’une personne décédée jusqu’à la question des drones.

En réalité, malgré les évolutions technologiques, les textes légaux n’ont pas beaucoup changé depuis la première mention du droit à l’image, en 1886. La jurisprudence, notamment européenne, a par contre évolué au fil de différentes affaires. Procès intentés par Caroline de Monaco contre des paparazzis, photos de Marc Dutroux publiées sans son accord lors de son procès, utilisation non consentie de l’image du couple Sarkozy-Bruni par la compagnie aérienne Ryanair, etc. Les exemples abondent.

Mais le droit à l’image est plutôt confronté au quotidien à une série de problématiques moins médiatiques, qui aboutissent rarement devant les tribunaux. Conséquence d’un accès à la justice qui reste coûteux alors qu’il n’est pas rare que les magistrats belges optent pour l’octroi d’un euro symbolique en guise de dédommagement. « Pas une semaine ne se passe sans que je reçoive un coup de fil d’une personne s’estimant lésée parce que son image a été utilisée à ses dépens, raconte Marc Isgour, et je suis persuadé qu’il ne s’agit là que d’une infime partie d’un énorme iceberg presque totalement immergé. »

Que faire, dès lors, lorsqu’on se retrouve dans ce cas de figure ? Pour l’avocat, il faut se poser cinq questions : existe-t-il un dommage réel ? La personne est-elle reconnaissable ? Pourquoi l’a-t-on photographiée et dans quel but ? Aucun engagement n’a-t-il été réellement pris ? Enfin, dans quelles circonstances les images ont-elles été immortalisées ?

Ne pas dépasser les bornes

Le droit à l’image n’est pas dépourvu de limite. Il peut par exemple se heurter au droit à l’information, celui qu’exercent les médias lorsqu’ils révèlent une affaire digne d’intéresser le public. Dans certaines circonstances, il est donc possible que la nécessité d’informer supplante celle de protéger une image. « Le droit à l’image ne se résume pas non plus au droit à la vie privée, même si ces deux concepts ont une intersection commune », ajoute Marc Isgour.

Le principe d’autorisation reste primordial. Une parole donnée ne doit pas l’être à la légère, car rares sont les tribunaux qui considèrent que l’on peut retourner sa veste. Peut-être que si on lui avait simplement posé la question, Iggy Pop aurait joué les martyrs de bonne grâce…


* Marc Isgour, Le droit à l’image, Bruxelles, Larcier, 2014.

Mélanie Geelkens
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