Décembre 2014 /239

Le muscardin est-il vraiment un muscardin ?

Congrès Zoology 2014, les 12 et 13 décembre à Liège

Muscardin2Il ressemble à une petite souris. Une quinzaine de centimètres, queue comprise, qui est presque aussi longue que son corps. Son pelage roux marque toutefois sa différence. Tout comme son habitat : pas la peine de le chercher au sol, le muscardin ne descend jamais des arbres et des végétations où il a élu domicile et où il hiberne. Autant dire que ce rongeur ne s’offre pas facilement aux regards. Alice Mouton, assistante volontaire au sein de l’unité de génétique de la conservation à l’ULg et post-doctorante à l’université de Barcelone, le connaît pourtant sous toutes les coutures. Elle est même parvenue à identifier ses ancêtres les plus lointains, qui peuplaient déjà certaines régions de la terre il y a… 17 millions d’années. Tout ça grâce à des poils, des tissus, des extraits d’ADN récoltés sur des cotons tiges, à partir desquels les gènes ont été amplifiés, multipliés de manière exponentielle.

« Grâce à cette technique, on peut remonter assez loin, explique-t-elle. On va se concentrer dans un premier temps sur le gène mitochondrial, car il est hérité seulement de la mère et il se révèle très variable. » Une première étape indispensable pour commencer l’élaboration d’un « arbre généalogique » de ce micromammifère. Soit entamer une étude phylogéographique relative à son évolution génétique et démographique au fil de l’histoire. « On utilise des logiciels qui permettent de déterminer quand se sont produites les grandes périodes de différenciation, quand les séparations ont eu lieu. »

Le plus ancien fossile remonte donc à 17 millions d’années. Mais Alice Mouton a surtout observé une importante rupture il y a 6,5 millions d’années, suivie d’autres – moins notables – durant les glaciations quaternaires, il y a 2,5 millions d’années. « La structure génétique du muscardin s’est modifiée au fil des siècles, détaille-t-elle. Mais la séparation constatée il y a 6,5 millions d’années est tellement forte qu’on peut se demander si l’on n’est pas aujourd’hui face à deux espèces différentes. »

Muscardin1C’est là une question que la chercheuse posera lors de sa présentation au congrès Zoology 2014, dont la 21e édition se déroulera à Liège en décembre. Car la différenciation mise au jour dans l’arbre généalogique du muscardin conduit plus généralement à s’interroger sur le sens du mot “espèce”. Il en existe 26 définitions reconnues, bien qu’aucune ne fasse consensus.

Doit-on prendre en compte uniquement des critères génétiques pour déterminer si l’on a affaire à une nouvelle espèce ? Ou faut-il se baser sur des données morphologiques et écologiques ? Si oui, lesquelles précisément ? « Il faudrait trouver une définition qui inclut tous ces paramètres, plaide Alice Mouton. En tout cas, il ne faut plus foncer tête baissée en se basant sur de la génétique pure et dure, au risque d’être confronté à une inflation taxonomique inutile. Si je le voulais, en me basant sur mes résultats de recherche, je pourrais publier un article affirmant demain avoir découvert une nouvelle espèce ! »

Un pas qu’elle se refuse à franchir, précisément parce que la rupture génétique qu’elle a remarquée chez ces rongeurs ne semble pas s’être accompagnée d’autres changements écologiques ou morphologiques. S’agissant d’un animal protégé au niveau européen, l’annonce d’une nouvelle espèce risquerait de remettre en cause toute la politique de conservation établie. A contrario, comme ce mammifère est protégé, le besoin de connaître en profondeur l’état de l’espèce est urgent, notamment pour prendre des mesures adéquates pour assurer sa préservation. Bref, muscardin ou pas muscardin ? Telle est la question…

Zoology 2014

Le 21e congrès annuel des sociétés royales de zoologie de Belgique et des Pays-Bas se déroulera les 12 et 13 décembre à l’ULg, à l’Institut de zoologie du quai Van Beneden.

Quatre conférences principales sont au programme, sur les thèmes des publications open-access, des interactions écologiques, de l’évolution animale et de la biologie de la conservation. Parallèlement, une soixantaine de chercheurs prendront la parole pour des présentations plus brèves.

Programme complet sur le site www.zoology2014.ulg.ac.be

 

Mélanie Geelkens
Photo : Alice Mouton
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