Mars 2015 /242

Reconversion industrielle Liégeoise

Un colloque s’intéresse aux sites industriels de la Grande Région

Depuis la fermeture de la phase à chaud par ArcelorMittal, le bassin industriel liégeois est forcé de changer de visage. Pour prendre quels traits ?Un colloque international, organisé par la province de Liège les 2 et 3 avril, tâchera d’identifier des pistes, en s’inspirant d’exemples européens réussis – ou non – de reconversion.

12 octobre 2011. En région liégeoise, l’annonce tombe comme un couperet : la phase à chaud va mourir. ArcelorMittal, trois ans seulement après avoir rallumé les hauts fourneaux et l’espoir, condamne définitivement la majeure partie de ses activités sidérurgiques. Ainsi que près de 1300 emplois. La suite est connue. Les épaisses fumées ont disparu de l’horizon. Ne subsistent que les usines désertées, comme des points morts dans le paysage. Alors que la page sociale se tourne doucement, un autre long chapitre s’ouvre, consacré cette fois à la reconversion de ces bords de Meuse sinistrés. Des milliers de m2 auxquels donner une autre vie.
En Europe, d’autres sites industriels sont passés par cette délicate phase de transformation contrainte et forcée. Avec plus ou moins de réussites. Mettre en avant les succès et les déboires : telle est l’ambition du colloque intitulé “Les sites industriels de la Grande Région, entre mémoire et innovation”, en partenariat avec l’ULg.

Liège, une page blanche

HasardCheratte« Chez nous, le chantier est totalement ouvert. Tout reste à faire. Avant de penser au futur, il faudra opérer des choix, ce qui n’est pas facile dans un monde en perpétuel changement. L’expérience d’autres pays qui sont déjà passés par là peut dès lors être très utile, estime Veronica Granata, historienne, organisatrice scientifique de l’événement et collaboratrice à l’ULg. L’objectif du colloque est précisément de déterminer les initiatives qui ont porté leurs fruits ailleurs, quelles ont été les difficultés rencontrées, quelle peut être, par exemple, l’opportunité d’une reconversion en lieux culturels, etc. »

Photo : Site du Hasard à Cheratte
© CHST (2013)

Durant les deux journées de la rencontre, différents orateurs se succèderont. « Avec une alternance entre les interventions de scientifiques et d’acteurs de terrain, pour réunir le plus possible de points de vue », explique-t-elle. Ainsi, Helmuth Albrecht, de l’université de Freiberg (Allemagne), « l’un des plus grands experts européens de la préservation des patrimoines industriels », ouvrira le bal le 2 avril. Il sera entre autres suivi de Graeme Evans (universités du Middelsex à Londes et de Maastricht) qui abordera la requalification des sites industriels par la culture, de Gilles Briand aussi qui racontera comment le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais est devenu l’une des reconversions européennes les plus abouties, ou encore d’Antoinette Lorang et Massimo Malvetti qui détailleront comment les anciens hauts fourneaux de Belval au Luxembourg se sont transformés en Cité des sciences.
La liste des intervenants comporte également les noms de chercheurs de l’ULg. Parmi eux, Arnaud Péters et Olivier Defechereux, du Centre d’histoire des sciences et des techniques (CHST). Les friches industrielles, ils connaissent : depuis 1992, leur équipe a analysé près de 500 sites wallons susceptibles d’être pollués. Leur mission – dont ils viendront expliquer les contours lors du colloque – consiste à déterminer, identifier et localiser (à l’échelle des sites) les risques de pollution de sols liés aux anciennes activités industrielles. Non pas en réalisant des prélèvements (qui interviennent ensuite), mais en compulsant… des archives.
Celles du cadastre notamment, qui remontent jusqu’à la première moitié du XIXe siècle, les autorisations d’exploiter, les archives d’entreprises, les cartes topographiques, les photographies aériennes, etc. Tout ce qui serait susceptible d’indiquer si une parcelle a pu abriter une activité potentiellement polluante. Sans oublier les visites sur le terrain et le recueil des témoignages de voisins et d’anciens travailleurs. « Nous confrontons toutes les données, afin d’en retirer une histoire continue et validée, exposent les chercheurs liégeois. Nous reportons ensuite toutes les informations sur un plan, que nous transmettons à un bureau d’études qui peut ainsi voir où se situent les éventuelles zones suspectes. » C’est là une enquête historique qui permettra de mieux cibler les prélèvements à effectuer. « Notre travail reste théorique, mais nous veillons toujours par la suite à le confronter aux analyses de sols », résume Arnaud Péters.

Acupuncture paysagère

UsineAu début des années 2000, le CHST a étudié tous les terrains qui ont abrité la phase à chaud de la sidérurgie liégeoise, lorsqu’elle pensait (déjà) être condamnée. Aujourd’hui que son sort ne fait plus de doute, l’équipe devrait à nouveau être mobilisée, notamment dans le cadre du projet Verdir. Ce projet-pilote de reconversion d’anciens sites industriels liégeois via l’agriculture urbaine sera lui aussi présenté lors du colloque par son initiateur, le premier vice-recteur Éric Haubruge. Verdir, qui est en cours de concrétisation, pourrait concerner un ensemble de lieux que Rita Occhiuto appelle « points d’acupuncture paysagère », où, à travers des observations répétées dans le temps, il sera possible d’intervenir par des actions et des techniques expérimentales capables d’accompagner le cours de l’évolution des sites.
Pour cette spécialiste en architecture et paysage de la faculté d’Architecture de l’ULg, la requalification des sites industriels liégeois ne peut pas se mener morceaux par morceaux, mais doit être envisagée dans une perspective d’ensemble ou systémique. Sans négliger le “futur du passé”, pour reprendre l’intitulé de l’exposé qu’elle présentera à la Cité Miroir le 3 avril.
Rita Occhiuto viendra partager sa vision de l’architecture du territoire, où il est « impossible de scinder un objet par rapport à un autre » et où ce que l’on construit « n’est jamais isolé, mais fait toujours partie d’un système ». Selon elle, il faut d’abord comprendre comment les différentes étapes historiques des lieux ont construit leur récit de vie, qui a peut-être encore une résonnance aujourd’hui. « Après, on peut commencer le travail au départ d’une hypothèse spatiale nouvelle. »
Depuis 1993, elle s’intéresse aux terrains du bord de Meuse, depuis Ivoz-Ramet jusqu’à Visé. Une imposante carte trône d’ailleurs au mur de son bureau. « Ces sites sont interpellants, concède-t-elle. Mais l’objectif est de dépasser la fascination, pour réaliser des lectures in situ révélant les interrelations existantes et la cohérence des systèmes en place. Ces lieux d’acupuncture paysagère peuvent alors être à l’origine d’une nouvelle dynamique de changement et déterminer par la même occasion où dépolluer, quand, avec quelles méthodologies, et à l’inverse choisir, les espaces qui doivent être laissés en l’état, etc. »
Car le paysage, selon Rita Occhiuto, n’est pas seulement l’état d’une surface d’un territoire; il est aussi l’expression des perceptions des populations évoluant avec le temps et les époques. Le modifier signifie aussi faire évoluer les mentalités, notamment par des projets agissant comme des médiums d’interprétation et d’accompagnement des mutations en cours.

Les sites industriels de la Grande Région, entre mémoire et innovation. Enjeux culturels, sociaux et économiques d’un patrimoine en transformation

Colloque international organisé par la province de Liège, service culture, en partenariat avec l’unité d’histoire contemporaine et le Centre d’histoire des sciences et des techniques (CHST) de l’ULg, les jeudi 2 et vendredi 3 avril, à la Cité Miroir, place Xavier Neujean 22, 4000 Liège.

Contacts : inscription souhaitée, tél. 04.232.87.55, courriel veronica.granata@provincedeliege.be, programme complet sur le site www.provincedeliege.be

 

Mélanie Geelkens
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