Avril 2015 /243

Liaisons dangereuses ?

Retraite et maladie d’Alzheimer

Toutes les activités que nous entreprenons dans notre vie contribueraient à nous doter d’une “réserve cognitive” qui nous permettrait de compenser les effets délétères du vieillissement normal ou pathologique. Nombre d’articles mettent en exergue le rôle protecteur de différents facteurs censés intervenir dans la “construction” de cette réserve. Par exemple, exercer une profession d’une certaine complexité ou avoir un réseau social étoffé.
Un lien a été établi entre ces facteurs et une diminution du risque de développer la maladie d’Alzheimer ainsi que l’accroissement du délai précédant son apparition éventuelle. Or, comme le souligne Catherine Grotz, doctorante et aspirante FNRS au sein de l’Unité de psychologie de la sénescence de l’ULg, l’univers professionnel est propice aux contacts sociaux et à l’exercice d’activités stimulantes sur le plan cognitif, deux sources auxquelles s’abreuve la réserve cognitive.

Un éclairage nouveau

Dans un article* publié en février 2015 par la revue PLoS One et dont elle est le premier auteur, la chercheuse revisite les données d’une des rares études consacrées à l’impact de la retraite sur le risque de développer la maladie d’Alzheimer et sur le moment de sa survenue. Parue en 2010, cette contribution réalisée sous la responsabilité de Michelle K. Lupton, du King’s College London, arrivait à la conclusion que chaque année supplémentaire de travail permet de différer l’âge d’entrée dans la maladie d’Alzheimer de 0,13 an.
Selon Catherine Grotz, cette étude était cependant entachée de deux biais. L’échantillon retenu par les chercheurs britanniques était constitué uniquement d’individus retraités ayant reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer, à l’exclusion de la population âgée normale.
Par ailleurs, afin de s’assurer que c’était bien la retraite qui a un impact sur l’âge d’entrée dans la pathologie et non l’inverse (causalité inverse), Lupton et ses collaborateurs ont exclu de leur échantillon tous les individus chez qui un diagnostic de maladie d’Alzheimer avait été posé avant leur départ à la retraite. Ce type de stratégie ne permet pas d’éviter le biais de causalité, d’autant que la phase prodromique de la maladie peut débuter jusqu’à dix ans avant que le diagnostic de démence ne soit émis. D’autre part, il crée un biais de sélection susceptible de conduire à une surestimation de l’effet de la retraite sur l’apparition de la maladie d’Alzheimer.
Les auteurs de l’article de PLos One s’étaient fixé pour objectif d’étudier, eux aussi, l’association entre l’âge de la retraite et celui de l’émergence éventuelle de la maladie d’Alzheimer, mais en prenant en considération les deux biais susmentionnés.
Ils s’appuyèrent sur la base de données de l’étude ICTUS/DSA. Réalisée entre 2003 et 2005 dans 12 pays européens, cette étude avait recruté 1379 patients avec diagnostic probable d’Alzheimer, dont 815 furent sélectionnés sur des critères précis par l’équipe de Catherine Grotz.

Prudence

Initialement, les chercheurs procédèrent à une mesure similaire à celle effectuée par Lupton. La tendance décrite par ce dernier fut confirmée, et même amplifiée. Pour tenir compte des biais de sélection et de causalité inverse, Catherine Grotz et ses collaborateurs ne conservèrent ensuite dans l’étude que les personnes parties à la retraite entre 50 et 65 ans et ayant développé une démence au moins dix ans après. « Il demeurait 447 personnes dans l’échantillon, précise la psychologue. Il apparut alors qu’une année supplémentaire d’activité professionnelle retardait en moyenne de 0,06 an l’âge d’entrée dans la maladie d’Alzheimer. L’association n’était plus statistiquement significative ; seule une tendance était observée. »
Une fois les deux biais pris en considération, la relation entre une retraite tardive et un âge plus avancé d’entrée dans la maladie d’Alzheimer est toujours présente, mais à un degré moindre. Prudence donc quant aux conclusions que l’on pourrait tirer sur les liens existant entre ces deux paramètres !

article sur www.reflexions.ulg.ac.be
(rubrique société/psycho)

* Grotz C. et al., Retirement age and the age of onset of Alzheimer’s disease: Results from the ICTUS study, 2015 Feb 25;10(2):e0115056. doi: 10.1371/journal.pone.0115056.eCollection 2015.

Philippe Lambert
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