Juin 2015 /245

Juste Sommeil

Bien dormir pour bien vieilir

Sept heures, neuf heures. Dans les maisons de repos, on appelle cela le “coup de feu”. Des dizaines de résidents à lever, à laver durant un créneau très court et, souvent, avec un nombre d’aides soignants limité. Du coup, il n’est pas rare que le personnel prenne de l’avance et commence à réveiller les personnes âgées avant le rush. Vue de l’extérieur, la pratique peut paraître contestable. Les professionnels du secteur répliquent qu’ils n’ont matériellement pas d’autre choix et qu’ils s’adaptent au rythme de vie de certains seniors, qui ouvrent les yeux bien avant les premiers rayons du soleil…
Et s’ils avaient raison sur ce point ? Si sommeil et vieillissement étaient étroitement liés ? Bien que plusieurs recherches soient menées sur le sujet, la science n’a pas encore clairement tranché. Certains médecins affirment que les huit heures de repos quotidiennes restent la norme, que l’on ait 18 ou 88 ans. D’autres spécialistes jugent au contraire que l’âge influence notre façon de dormir, tant qualitativement que quantitativement.
Depuis plusieurs années, le centre de recherche du Cyclotron de l’ULg tente de démêler le vrai du faux. Le 4 septembre, il organise un symposium intitulé “Sleep and aging : perks for longevity ?” (Sommeil et vieillissement : avantages pour la longévité ?), au cours duquel sept scientifiques viendront présenter leurs travaux.
Dormir1Si le point d’interrogation reste de mise, c’est parce que répondre à cette question avec certitude nécessiterait de réaliser des études très longues, observant les mêmes sujets durant toute leur existence. Gilles Vandewalle, Fabienne Collette et Sarah Chellappa, les trois organiseurs du congrès, entendent bien y parvenir un jour. Ils ont déjà mené à bien une étude auprès de jeunes de 18 à 30 ans, en utilisant l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et la stimulation électromagnétique transcrânienne, afin de déterminer comment les neurones et le cerveau réagissent à la fois lorsqu’ils fonctionnent normalement et quand ils sont soumis à une privation de sommeil.
Désormais, ce sont les personnes de 55 ans etplus qui les intéressent. Ils cherchent d’ailleursdes volontaires en bonne santé (avis aux amateurs…) qui accepteraient de devenir des “cobayes” le temps de quelques journées et nuitées. « Nous essayons de savoir comment la régulation globale de l’éveil et du sommeil change avec l’âge, détaille Gilles Vandewalle, chercheur qualifié FNRS au Cyclotron. L’idée serait de revoir les gens tous les deux ou trois ans et d’observer ce qui se passe lors d’un vieillissement normal : voici comment ils dormaient à 60 ans, à 65 ans, etc. »

Un goût prononcé pour la sieste

S’il est trop tôt pour tirer des conclusions, plusieurs indices laissent néanmoins penser que l’étude sera loin d’être vaine. Car on sait déjà que la moitié des 50 ans et plus se plaignent de passer de mauvaises nuits. Beaucoup ont aussi tendance à être debout plus tôt. « L’exemple classique, ce sont les gens qui dormaient auparavant sans problème jusqu’à 8 ou 9 heures, puis qui, à partir de 50 ou 60 ans, se réveillent vers 5 ou 6 heures », raconte Gilles Vandewalle.
Au fur et à mesure de l’existence, les siestes ont également tendance à devenir plus fréquentes. Parce que les seniors ont davantage de temps pour piquer un petit roupillon au milieu de l’après-midi ou parce qu’ils en ont réellement besoin ? Difficile à dire… Reste qu’à partir d’un certain âge, la somnolence en journée devient importante.
Par ailleurs, les aînés semblent moins affectés par la privation de sommeil. De là à penser qu’ils ont en réalité besoin de moins d’heures de repos… Ce sera la thèse défendue par Derk-Jan Dijk, professeur à l’université de Surrey, l’un des orateurs du colloque. À ses yeux, la sacro-sainte règle des “huit heures au lit chaque nuit” pourrait ne plus s’appliquer à partir d’un certain stade de la vie. Ce qui expliquerait pourquoi tant de 50 ans et plus se plaignent de ne pas bien fermer l’oeil. Peut-être certains restent-ils huit heures, voire neuf heures couchés dans leur chambre alors que sept leur suffiraient ? Et qu’ils dorment comme des bébés durant ces sept heures, mais qu’attendre une ou deux heures avant de tomber dans les bras de Morphée leur gâche la nuit?

Les visages de l’insomnie

Dormir2Autre intervenant lors du symposium, le Néerlandais Eus Van Someren (Institut des neurosciences d’Amsterdam) se penchera quant à lui sur les causes et les conséquences de l’insomnie, lesquelles se révèlent moins claires que ce que l’on pourrait imaginer. Il existerait plusieurs types d’insomnie, affectant des systèmes de régulation de sommeil différents et trouvant leur origine dans des circuits du cerveau qui ne sont pas principalement liés à la régulation du sommeil.
Fabienne Collette, directrice de recherche FNRS au Cyclotron, évoquera pour sa part le vieillissement cognitif. « Pourquoi à 60 ans certains décident-ils de faire le tour du monde, d’apprendre une quatrième langue et de se mettre à l’informatique, alors que d’autres n’ont plus envie de rien, passent leur journée devant la télévision et donnent l’impression d’avoir 20 ans de plus ? », s’interroge-t-elle.
La dégradation du processus cognitif au fil du temps est un processus tout à fait normal. Qui débute même dès… 18 ans ! Personne ne peut y échapper. Toutefois, certains facteurs semblent freiner (ou accélérer) le mouvement : l’éducation, le métier exercé, la pratique d’activité physique, la vie sociale, la génétique… L’ensemble de ces éléments crée un terreau soit propice, soit défavorable au vieillissement cognitif. « Jusqu’il y a peu, le sommeil était très rarement considéré comme un facteur à risque ou protecteur, alors que c’est en réalité le cas, pointe Fabienne Collette. Il a notamment été démontré que les personnes qui dorment mal auraient, potentiellement, plus de risque de développer une maladie d’Alzheimer par la suite. Ce n’est cependant pas parce qu’on est insomniaque pendant trois semaines qu’on est susceptible de présenter cette maladie ! Disons qu’il faut être vigilant. »

Plus efficace avec moins de neurones

Dormir3La dégradation cognitive n’est pas forcément négative. « On ne devient pas plus bête et plus lent avec l’âge, résume Gilles Vandewalle. On a moins de neurones, mais peut-être parce qu’on en a moins besoin puisque le cerveau deviendrait plus efficace. » Une bonne nuit de sommeil pourrait dès lors participer à ce processus de compensation. « Une hypothèse à explorer est que les gens qui se plaignent de problèmes cognitifs n’ont pas un sommeil adapté. Et qu’on pourrait restaurer une partie de leurs capacités en l’améliorant naturellement, à l’aide de la lumière ou d’exercices, ou chimiquement avec des médicaments. »
Mais pas avec des somnifères, précisent d’emblée les chercheurs liégeois. Ces cachets peuvent se révéler utiles à court terme, lorsqu’il faut absolument permettre à quelqu’un de retrouver le repos, mais ils sont nuisibles à long terme. Accoutumance importante, déstructuration des cycles de sommeil, repos moins réparateur… « Il y a probablement d’autres approches à privilégier que le monde médical a peut-être négligé. » À tout le moins, il est possible qu’un somnifère ne doive pas être administré de la même manière chez un jeune que chez un senior. Plus largement, dépeindre le fonctionnement cérébral à l’état normal et en manque de sommeil pourrait également être intéressant pour la chronothérapie, soit l’administration d’un médicament au meilleur moment pour l’organisme.

Les pièces du puzzle

Toutes ces pistes devront être confirmées. « Il s’agit d’un nouveau champ, c’est pour cela qu’il est encore très hypothétique, souligne Sarah Chellappa, post-doctorante au Cyclotron. Il faut assembler toutes ces pièces au sein d’un même grand puzzle. »
La recherche animale pourrait accélérer le tempo. « On peut par exemple placer des électrodes très spécifiquement dans le cerveau de rongeurs et ainsi observer la manière dont ils se comportent, puis observer les changement liés à l’âge », poursuit-elle, citant les recherches de Vladyslav Vyazovskiy (université d’Oxford). Cet autre invité au symposium expliquera comment il a effectué des enregistrements sur le cortex frontal et occipital de jeunes souris et leurs aînées, à l’aide d’électroencéphalogramme. L’âge aurait un effet sur l’activité neuronale durant le sommeil et l’exercice de tâches comportementales.
En attendant que les cerveaux des muridés et des humains livrent tous leurs secrets, mieux vaut ne pas négliger son sommeil. Pas seulement pour éviter les réveils difficiles au quotidien, mais aussi pour mieux vieillir demain. « On l’oublie souvent : il faut respecter son corps. Bien vivre est important ! », conclut Gilles Vandewalle.

Voir le site www.sleepandaging.be

Mélanie Geelkens
Illustration : Capraro Lara - 1er Master Illustration-Aca-Sup Liège
Peinture : BAL - Walter Mac Ewen
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