Juin 2015 /245

Des voix dans la tête

Etude sur les hallucinations

MappingIl y a évidemment Jeanne d’Arc. Mais Socrate aussi entendait des voix. Beethoven, Freud, Sartre ou Churchill, pour ne citer qu’eux, auraient été également des “entendeurs de voix”. « D’après l’ensemble des données disponibles, il semble fondé de considérer que 5 à 15% des individus entendent régulièrement des voix », indique Frank Larøi, chargé de cours au sein de l’unité de psychologie clinique comportementale et cognitive de l’ULg. Qu’ils aient un passé psychiatrique ou non, ces individus se caractérisent par la grande fréquence de leurs hallucinations. Mais comme tendent à le montrer les travaux de la psychiatre Iris Sommer, de l’université d’Utrecht, les hallucinations des sujets non cliniques se distinguent de celles des patients psychotiques par leur contenu, généralement bienveillant ou neutre, et le caractère plus spirituel que concret des voix prétendument entendues (le fantôme d’une grand-mère, par exemple, et non une voisine, un agent du FBI ou le diable). « Cette nature plus abstraite de l’hallucination facilite son contrôle et évite la dérive vers un état délirant », explique Frank Larøi.

Changement de perspective

LaroiFrankLes études d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ont dévoilé que, lors d’une hallucination, la région associée au canal sensoriel impliqué (visuel, auditif, olfactif, etc.) est activée dans le cortex, alors que, par définition, il n’y a aucune perception. De même, les aires de Broca et de Wernicke, essentielles au langage, sont mises à contribution dans les hallucinations auditivo-verbales. « Toutefois, il convient de nuancer le propos, car ces patterns d’activation ne se retrouvent pas chez tous les patients », dit Frank Larøi. D’autres régions cérébrales sont concernées par les expériences hallucinatoires, mais leur cartographie reste floue et incertaine. On y recense notamment des régions frontales qui pourraient être impliquées, entre autres, dans le “contrôle de la réalité”.
De façon classique, la psychiatrie considère qu’entendre des voix est une manifestation psychotique que l’on soigne grâce des neuroleptiques. Si ceux-ci peuvent aider à contrôler les symptômes dits positifs de la schizophrénie, telles que les hallucinations et les idées délirantes, 30 à 60% des patients continuent cependant à éprouver des difficultés à gérer ces symptômes. Par ailleurs, les antipsychotiques ne sont pas orientés spécifiquement contre les hallucinations auditivo-verbales. Ils sont donc peu appropriés pour répondre aux difficultés des entendeurs de voix cliniques.
C’est pourquoi, à la fin des années 70, le psychiatre néerlandais Marius Romme a extrait les voix du carcan de la maladie mentale en les assimilant à une expérience dont on peut s’accommoder. D’autant que certaines personnes ne voudraient pas qu’elles s’effacent définitivement de leur vie. Appréhendées dans une perspective non médicale, néanmoins souvent de façon complémentaire à la prise de neuroleptiques – voire à une psychothérapie –, les voix semblent plus sujettes à une mise sous contrôle.

Groupes d’entraide

Aux Pays-Bas sont nés, il y a une vingtaine d’années, de petits groupes de parole où se côtoient entendeurs de voix cliniques et non cliniques. L’initiative a essaimé ensuite vers de nombreux pays. Et un groupe de parole a vu le jour à Liège il y a une vingtaine de mois sous l’égide de l’asbl Psy’Cause et de la Clinique psychologique et logopédique de l’ULg. « Au sein des groupes de parole, jamais on ne discute de l’origine des voix car ce débat serait stérile », indique le psychologue clinicien et doctorant Jonathan Burnay, l’un des “facilitateurs” du groupe liégeois.
À l’instar des séances des Alcooliques anonymes, chacun échange avec les autres participants, fait part de ses expériences, explique son désarroi ou ses progrès et les stratégies qu’il a mises en oeuvre pour reprendre le contrôle sur “ses” voix.
L’attitude de certains professionnels de la santé par rapport à ces groupes de parole oscille entre l’intérêt affirmé et la franche hostilité, en passant par le scepticisme. Pour l’heure, il est vrai, aucune étude scientifique consistante n’a pu être menée pour prouver l’efficacité de la méthode. C’est pourquoi, selon Frank Larøi et Jonathan Burnay, le groupe de parole liégeois doit se concevoir en partie comme une expérience-pilote.

Contacts : Jonathan Burnay, tél. 04.366.33.81

Philippe Lambert
Dessin : Fotolia - Kubko
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