Septembre 2015 /246

L’audit de la dette grecque

L'opinion d'Eric Toussaint

En mars 2015, Zoe Konstantopoulou, la présidente du Parlement grec, a décidé appliquer l’article 7 d’un règlement adopté en mai 2013 par l’Union européenne concernant la Grèce et d’autres pays soumis à un plan d’ajustement structurel. Voici le texte complet, point 9 de l’article 7 : “Un Etat membre faisant l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité.”1
ToussaintEricJ’ai accepté la tâche de coordinateur scientifique de la commission internationale chargée de réaliser cet audit. Elle était composée de 30 spécialistes provenant de 11 pays différents. Au bout de deux mois et demi de travail, la commission a rendu un rapport préliminaire disponible en grec, en anglais et en français2. Voici quelques éléments clés qui ont été mis en lumière par la réalisation de l’audit. La dette grecque, qui représentait 113 % du PIB en 2009 avant l’éclatement de la crise, a explosé suite à l’intervention de la Troïka – Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI – qui détient 4/5 de cette dette, pour atteindre 175% du PIB en 2014. À partir de 2010 et jusqu’en 2012, les crédits octroyés par la Troïka à la Grèce ont servi à rembourser les principaux créanciers de la Grèce, à savoir les banques privées des principales économies de l’Union européenne, à commencer par les banques françaises et allemandes.
Entre fin 2005 et 2009, les banques privées européennes ont très fortement augmenté leurs crédits à la Grèce sans tenir compte de la capacité réelle du pays à rembourser. Elles ont agi de manière aventureuse pour faire un maximum de profit à court terme, convaincues que les autorités européennes viendraient à leur secours en cas de problème. L’audit montre que le plan de soi-disant sauvetage de la Grèce mis au point par les instances européennes avec l’aide du FMI a en réalité servi à permettre aux banques européennes de continuer à recevoir des remboursements de la part de la Grèce tout en transférant leur risque sur les États et les contribuables. La BCE a outrepassé ses prérogatives en exigeant du Parlement grec qu’il légifère dans des matières qui échappent complètement à son mandat. Elle a réalisé des bénéfices exagérés sur les créances grecques qu’elle détient. Le FMI n’a pas respecté ses règles internes.
En mars 2012, la Troïka a organisé une restructuration de la dette grecque qui a été présentée à l’époque comme un succès. En réalité, cette dette est plus élevée en 2015 qu’en 2011. Depuis février 2015, la Grèce a remboursé plus de 12 milliards d’euros et n’a consacré que 200 millions pour répondre à la crise humanitaire causée par les politiques dictées par les créanciers. Il est grand temps de prendre en considération les conclusions de l’audit et de réaliser une réduction radicale de la dette.
L’audit a démontré que les conditions imposées par la Troïka et les créanciers à la Grèce en échange des crédits qui lui sont apportés constituent une violation caractérisée des droits humains fondamentaux et de nombreux traités et conventions. En conséquence, la commission chargée de l’audit considère que les dettes réclamées par les créanciers à la Grèce sont largement illégales, illégitimes, odieuses et insoutenables.

Éric Toussaint
docteur en science politique des universités de Liège et de Paris VIII
auteur de Bancocratie (Aden, 2014) et coordinateur scientifique de la commission d’audit de la dette grecque instituée par la présidente du Parlement grec


1 http://bit.ly/1UoA8Hq
2 Voir le résumé officiel du rapport : http://cadtm.org/Synthese-du-rapport-de-la, et l’intervention d’Éric Toussaint à la présentation du rapport préliminaire de la Commission de la vérité, http://cadtm.org/Intervention-d-Eric-Toussaint-a-la

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