Septembre 2015 /246

Philostory

Quand la philo monte sur scène

« Loin de n’être que des animaux bavards qui se cachent derrière leurs plumes, les philosophes savent aussi se mouiller, analyser des situations, déconstruire des représentations, en créer de nouvelles et travailler à mettre en relief les problématiques de notre époque. » Voici comment Maud Hagelstein, chercheuse qualifiée FNRS au sein du service esthétique du département de philosophie de l’ULg, aime introduire le projet “Philostory” qui débutera cette année au Théâtre de Liège.

Blockbuster et “pop philosophie”

Désormais installé place du 20-Août, le Théâtre de Liège est en effet en quête de nouveaux échanges avec ses voisins de la faculté de Philosophie et Lettres. Encore fallait-il trouver une formule convaincante pour attirer un nouveau public sans sombrer dans les poncifs du genre, ce à quoi Maud Hagelstein a travaillé avec le Pr Édouard Delruelle. « On a cherché à construire un dispositif qui ne relève ni d’une philosophie de comptoir où chacun émet son avis sur des grands sujets d’actualité, ni d’une philosophie élitiste où un invité averti viendrait juger la proposition des artistes avec autorité et donner du sens à quelque chose qui serait supposé ne pas en avoir suffisamment », commente la chercheuse. C’est donc le dialogue ouvert entre auteur, metteur en scène et philosophe qui sera ici privilégié, en guise de prolongation d’un spectacle à l’affiche. Pour cette première saison, Philostory s’articulera autour de quatre spectacles aux forts enjeux politiques et idéologiques. C’est le Blockbuster de Nicolas Ancion et du collectif Mensuel qui ouvrira le bal le lundi 5 octobre, avec à la barre des philosophes : en particulier Patrice Maniglier, un des fervents représentants de la “pop philosophie”, à qui l’on doit notamment plusieurs chapitres de l’essai Matrix, machine philosophique (éditions Ellipses, 2013). « C’est quelqu’un qui n’a pas hésité à se retrousser les manches pour ouvrir l’horizon de la philosophie universitaire française et mettre en cause ce rapport un peu révérencieux que l’on peut avoir à la discipline. Par ailleurs, c’est un enseignant très charismatique qui assume le fait que l’enseignement suppose un travail de séduction », explique Maud Hagelstein. Qui de mieux que cet avenant “philosophe en baskets”, ainsi que le décrivait un portrait publié en 2014 dans Le Monde, pour se frotter au détournement des grosses productions cinématographiques américaines proposé par le collectif Mensuel ? « Je suis aussi assez sensible à ne pas dénigrer d’emblée la culture de l’image comme étant quelque chose de forcément abêtissant, à cette idée qu’en l’utilisant de manière détournée, elle peut aussi permettre l’émancipation », commente Maud Hagelstein.

Exercice pratique

Si tous les intervenants de la saison ne sont pas encore connus, annonçons déjà la venue en décembre de Marcela Iacub autour des Liaisons dangereuses : une rencontre entre femmes qui devrait opportunément s’attarder sur la question des perversions sexuelles et des féminismes. Elle-même spécialiste de l’esthétique et de la philosophie de l’art, Maud Hagelstein a, comme on le voit, délibérément choisi de convier des personnalités qui ne sont pas nécessairement des philosophes esthéticiens, versés dans le théâtre ou la médiation. « Nous avons essayé de choisir des philosophes capables d’aller au contact de productions contemporaines et de considérer la manière dont l’objet artistique peut transformer leur propre pensée. Cette démarche impose aux penseurs invités de sortir du confort académique et de sa rhétorique habituelle. Dans cette perspective, le passage par l’art est précisément ce qui force la philosophie à sortir de ses plates-bandes habituelles. » Une prise de risque qui invite à raconter d’autres histoires, d’autre manière.

Philostory

Au Théâtre de Liège, place du 20-Août 16, 4000 Liège, les lundis 5 octobre, 21 décembre, 18 janvier et 11 avril à 20h.

Programme complet sur le site www.theatredeliege.be/philostory

Julie Luong
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