Octobre 2015 /247

Consommer autrement

La semaine du commerce équitable, du 7 au 17 octobre

Cafe2Les ventes de produits issus du commerce équitable ne cessent de croître en Belgique : son chiffre d’affaires a dépassé 115 millions d’euros en 2014. L’essentiel des ventes (96%) concerne l’alimentation1 et la grande majorité des articles (105 millions d’euros) sont certifiés par le label “Fairtrade Belgium” (ex-Max Havelaar), dont les ventes ont progressé pour la 25e année consécutive (10,4% de plus en 2014 par rapport à 2013). Ces produits “Fairtrade” s’écoulent principalement dans la grande distribution. En 2012, les supermarchés Delhaize, Carrefour, Colruyt et Lidl représentaient à eux seuls quelque 70 % d’écoulement des produits. Ce déferlement dans les grandes surfaces suscite bien des débats. En s’adaptant aux règles de la grande distribution, le commerce équitable ne s’éloigne-t-il pas trop de ses principes fondamentaux ? Benjamin Huybrechts, chargé de cours à HEC-Ecole de gestion de l’ULg, observe deux tendances de plus en plus distinctes au sein des organismes de commerce équitable. « D’un côté, il y a les tenants des produits vendus sous le label “Fairtrade” qui s’adaptent à la demande des supermarchés, lesquels ont un besoin permanent de gros volumes, ce qui rend compliquée la collaboration avec les plus petits producteurs. De l’autre, des acteurs spécialisés dans le commerce équitable – Oxfam et Ethiquable, par exemple –, qui gèrent des volumes moins importants mais tendent à cibler des groupes de producteurs plus marginalisés. La proportion de produits africains, notamment, est plus importante chez ces acteurs spécialisés que dans la grande distribution. »
Selon sa définition2, le commerce équitable vise non seulement à améliorer la situation des producteurs marginalisés, mais également à transformer les structures du commerce mondial. « Tout le monde s’accorde sur cette définition, mais les différences s’observent dans la mise en oeuvre, poursuit Benjamin Huybrechts. Les partisans de l’approche spécialisée nouent des alliances avec les autres ONG et les syndicats qui revendiquent, en particulier, des changements au niveau de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ils dénonceront les conditions de travail chez telle ou telle grande marque si nécessaire. La filière labélisée a quelque peu mis entre parenthèses ce type d’objectif politique. »

Gare aux labels

Pour Bruno Frère, sociologue, chercheur qualifié au FNRS en faculté des Sciences sociales, le mouvement de labellisation dans le commerce équitable a été dommageable pour son image. « Les produits labellisés vendus en grande surface n’ont pas transformé les règles de la grande distribution, laquelle continue à surexploiter son personnel et les producteurs locaux. Il y a une certaine ironie à voir des produits labellisés de commerce équitable dans les rayons alors qu’en même temps, les producteurs de lait s’appauvrissent sous les coups de butoir de la grande distribution qui les contraint à baisser les prix. Les acteurs de plus petite envergure – tels que Artisans du monde en France –, qui collaborent directement avec des producteurs du Sud en évitant les grandes surfaces, opèrent sur un plan plus microscopique mais ils établissent un véritable rapport de coopération. »
Bruno Frère estime que, dans sa forme actuelle, le commerce équitable labellisé n’a aucune vocation à remettre en cause les politiques économiques internationales. « Sous couvert d’apolitisme, ce commerce ne contribue pas à forger une conscience politique auprès de ses bénéficiaires dans le Sud ou auprès de ses consommateurs dans le Nord. Or, les grands mouvements sociaux qui ont contribué à transformer le monde, au premier rang desquels le syndicalisme, n’ont pu se développer qu’à partir d’une prise de conscience d’une condition commune d’existence. Ce n’est pas l’objectif du commerce équitable labellisé qui ne désire pas remettre en question les règles  de l’économie mondialisée, mais plutôt faire en sorte que ses normes libérales soient plus justement respectées (concurrence libre et non faussée, etc.). En revanche, de plus petits acteurs, comme Oxfam, manifestent ouvertement leur solidarité avec les mouvements sociaux qui se sont développés en Grèce et en Espagne suite aux mesures d’austérité pour identifier des problèmes communs. »
Dans les pays du Nord, Bruno Frère note qu’une série d’initiatives plus proches du thème de la décroissance (comme les potagers urbains ou les nouvelles formes d’achats en circuits courts) sont aussi des critiques plus franches de l’économie mondialisée. Certaines de ces initiatives ne sont pas compatibles avec le capitalisme, notamment lorsqu’elles incitent à une moindre consommation. Loin des grandes surfaces, elles évoquent plus facilement la nécessité de réfléchir à un commerce équitable Nord-Nord.
Cafe« Depuis trois ans, on voit de plus en plus de convergences entre l’“équitable historique” (comme les Magasins du monde) et les nouvelles initiatives citoyennes : achats en circuits courts, finance solidaire, système d’échange local, etc. Un Magasin du monde Oxfam devient, par exemple, le point de dépôt du groupe d’achats communs. Des dialogues se nouent, et si chacun parvient à dépasser son propre “défi sociétal“ pour développer une réflexion plus transversale, cela peut permettre de “faire mouvement“ et de gagner en crédibilité », souligne pour sa part Benjamin Huybrechts.

Vers un commerce équitable de proximité

Le commerce équitable se développe de plus en plus entre pays du Sud. « Beaucoup de pays historiquement producteurs dans la filière ont maintenant des consommateurs locaux qui souhaitent des produits fabriqués dans des conditions équitables, note Benjamin Huybrechts. C’est notamment le cas au Brésil, en Inde, en Afrique du Sud. » La même tendance se dessine dans les pays du Nord, pour des raisons environnementales et de soutien des producteurs locaux. « En Belgique, des acteurs comme Oxfam et Ethiquable, ou plus globalement la Belgian Fair Trade Federation (BPIP), essaient de promouvoir les agriculteurs locaux en commercialisant leurs produits ou en mélangeant des produits du Nord et du Sud, comme par exemple un jus de fruits qui comprend des oranges et bananes du Sud avec des pommes et des betteraves du Nord. »

1 Selon les dernières statistiques de l’Agence belge de développement.
2 Le réseau informel “Fine ”, qui regroupe les principales organisations internationales du commerce équitable, s’est accordé sur la définition suivante : “Un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au sud de la planète. Les organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce équitable et conventionnel”.

UniverSud-Liège

Un des enjeux essentiels du commerce équitable est de replacer l’acte d’achat au sein du cadre d’une citoyenneté mondiale et solidaire. C’est justement une des missions d’UniverSud, ONG de l’université de Liège, qui contribue à l’émergence d’une telle citoyenneté à travers des activités d’éducation au développement sur le campus et lors de nombreux événements en région liégeoise. L’ONG organise ainsi chaque année au mois de mars “Campus Plein Sud”, une grande campagne portée par l’ensemble des institutions francophones afin de mobiliser la communauté universitaire en faveur de relations Nord-Sud plus justes. En 2016, le thème sera “l’économie sociale”, dont la filière du commerce équitable fait partie. Des enseignants du Centre d’économie sociale (CES) de l’ULg participeront également à cette campagne.
« UniverSud a aussi décidé de publier un “Guide solidaire” afin de proposer aux étudiants des informations et des pistes d’action concrètes en matière de consommation responsable, signalent Alin Teclu et Andrès Patuelli, chargés d’éducation au développement dans l’ONG. Nous avons aussi la chance de pouvoir compter sur le Groupe ULg solidaire (GUS), un cercle interfacultaire d’étudiants concernés par les enjeux de développement au Sud, au Nord et Nord-Sud. » Pour UniverSud, le commerce équitable est une thématique transversale dans leurs activités.

Informations sur www.universud.ulg.ac.be

Projet Fair Share

Le projet Fair Share, porté en Belgique par l’Académie des entrepreneurs sociaux avec la collaboration de BFTF, vise à développer une plateforme de formations en ligne à destination des entrepreneurs et opérateurs du commerce équitable, et plus largement des entrepreneurs sociaux, mais aussi du grand public. Les premiers modules sont aujourd’hui disponibles en ligne et en test.

Informations sur https://fairsharetraining.eu/frontpage

Festival Alimenterre

Autour des enjeux alimentaires mondiaux, SOS Faim propose, durant le mois d’octobre, le festival Alimenterre, à Bruxelles et ailleurs en Belgique. Au programme, des films, des débats et un forum des alternatives, auxquels participeront plusieurs membres de l’ULg : Jean-Michel Lafleur interviendra lors du débat de la soirée d’ouverture à Bruxelles, le 15 octobre ; Sara Vigil et l’équipe du Cedem lors du débat à Liège, le 21 octobre ; Pierre Ozer au ciné-débat du 24 octobre à Liège.

Informations sur http://festivalalimenterre.be

Sam Grumiau
Photos : Oxfam - Craft Link au Vietnam et Coopérative Sopacd, RDC-CTB
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