Octobre 2015 /247
Philippe MairiauxLa médecine du travail en pleine évolution. Bilan de 30 ans de changements.
Le dire est un euphémisme : le travail a connu de grandes mutations au cours des 30 dernières années. Déclin industriel, augmentation du taux d’emploi des femmes, effacement de la frontière entre vie professionnelle et vie privée, irruption de l’informatique et du télétravail, toutes ces transformations majeures qui ont des répercussions notables sur notre quotidien et sur la relation entre travail et santé. Docteur en médecine (en 1975), Philippe Mairiaux a manifesté d’emblée un intérêt pour la santé au travail. Alors assistant à l’UCL, il a consacré sa thèse au “travail en ambiance chaude” dans les entreprises, sur la base de travaux menés au CNRS à Strasbourg et à la Surrey University en Angleterre, avec pour fil rouge la protection de la santé des travailleurs in situ. En 1996, il devient professeur à l’Ecole de santé publique de l’ULg. Près de 20 ans plus tard, au moment où il prend sa retraite, il jette un regard dans le rétroviseur. Le 15e jour du mois : Quand commence-t-on vraiment à parler de médecine du travail ? Philippe Mairiaux : La médecine du travail est apparue en Belgique dans les grandes entreprises entre les deux guerres mondiales ; en 1968, elle est devenue obligatoire, pour toutes les entreprises, PME compris. À l’époque, il s’agissait de limiter les risques physiques encourus par les travailleurs. Il faut dire que les pathologies pulmonaires, les intoxications (au plomb, au cadmium, etc.) étaient alors fréquentes, tout comme les accidents du travail. Chez les mineurs de charbon, on dénombrait beaucoup de cas de silicose, une fibrose progressive des poumons due à l’inhalation de poussières de silice. À l’initiative des médecins du travail et des ingénieurs de sécurité, plusieurs mesures concrètes de prévention ont été apportées dans les mines : humidification de l’air dans les zones d’abattage, amélioration des systèmes d’aspiration, port de masques respiratoires ventilés. Le 15e jour : Quelle a été, à votre avis, l’évolution la plus marquante durant votre carrière ? Ph.M. : L’économie a changé, la nature du travail également. Les emplois industriels sont moins nombreux : les mines, la sidérurgie, l’industrie du verre font partie de notre (glorieux) passé. Les maladies professionnelles sont maintenant d’une tout autre nature. Le 15e jour : Globalement, notre santé au travail s’est-elle améliorée ? Ph.M. : La tertiarisation des emplois s’est accompagnée d’une diminution des métiers “physiques” générateurs d’intoxications et d’accidents graves. De ce point de vue, il est indéniable que l’on note une amélioration générale. Mais d’autres pathologies sont apparues : troubles musculo-squelettiques et problèmes psychologiques, dont le burnout est sans doute la forme la plus connue, sans oublier les effets de la sédentarisation inhérente à ce nouveau contexte. Nos collègues cardiologues ou diabétologues constatent tous les jours les ravages que produit la combinaison d’une consommation moindre d’énergie et d’une alimentation (trop) abondante : obésité, diabètes, maladies cardiaques et cancers. Le 15e jour : Et que dire de nos conditions de travail ? Ph.M. : Je l’ai dit, de gros progrès ont été faits quant aux équipements de protection sur les chantiers, à la sécurité des machines, etc. Mais paradoxalement, dans le passé, les conditions de travail difficiles, même très pénibles parfois, généraient en corollaire une grande cohésion dans une équipe. Ce sentiment très fort d’appartenance à un groupe constituait un facteur de protection pour le travailleur. À l’heure actuelle, les méthodes de management tendent à faire disparaître cette notion : l’individualisation des tâches et des évaluations contribue à déstructurer les collectifs de travail, à induire une concurrence entre collègues et à laisser chaque individu affronter seul le stress et la pression temporelle.
Propos recueillis par Patricia Janssens
Photo : J.-L. Wertz
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