Novembre 2015 /248

L’éditeur, l’autre créateur

Parcours d'un alumni

Son rêve, c’était Gallimard et les best-sellers. D’abord comme écrivain. «Pas très original !» Donc Primaëlle Vertenoeil a fait des études de langues et littératures romanes, à l’université de Liège. « Mais quand j’ai vu tous les débats qui pouvaient naître autour de la place d’une virgule dans une phrase, j’ai totalement perdu l’envie d’écrire. » La Liégeoise n’avait toutefois pas perdu son amour du livre. Comme objet, cette fois. Le désir de faire lire a pris le pas sur celui d’écrire.

PROVOQUER LA CHANCE

VertenoeilPrimaelleIl paraît que, dans le monde de l’édition, à peine une place de salarié se libère chaque année. « Envoyer un CV, c’est un peu comme gratter un Win for Life ! » Bingo : Primaëlle Vertenoeil a touché le gros lot. Pas Gallimard ni les bestsellers. D’ailleurs, elle n’en a plus vraiment envie. Mais à 28 ans, elle a décroché le poste de responsable éditoriale des Éditions de la province de Liège qui viennent de souffler leur première bougie.

De la chance ? Peut-être. Mais elle a su la provoquer. D’abord en tant que bénévole au sein de l’ASBL Le Fram (revue littéraire et maison d’édition qui a cessé ses activités en 2012), puis en lançant l’association qui lui a succédé, Levée de Paroles. Ensuite, parallèlement à son master complémentaire en médiation culturelle et métiers du livre, en tant que stagiaire au sein des Presses universitaires de Liège et chez Luc Pire. C’est là qu’elle décrocha son premier job, une fois son diplôme en poche en 2012. Assistante éditoriale touche-à-tout : élaboration de contrats, comptabilité, correction de textes, mise en page, organisation de conférences de presse, porte-plume… Elle rédigea même la préface d’un livre. Touche-à-tout, qu’on vous disait. Enrichissant, mais pas toujours épanouissant.

En janvier 2014, elle changea de cap pour devenir à la fois secrétaire de rédaction de la plateforme culturelle Karoo, créée par l’organisation de jeunesse Indications, puis directrice d’Espace Livres et Création, une ASBL qui représente la voix des “petits” éditeurs en Belgique et à l’étranger. Deux mi-temps qu’elle combinait jusqu’au 1er octobre dernier, date de son entrée en fonction au sein des Éditions de la province de Liège.

« Chez Karoo et Espace Livres et Création, c’était très intéressant, mais je faisais à peu près tout… sauf de l’édition, racontet-elle. Quand j’ai vu qu’un poste se libérait ici, j’ai postulé sans trop y croire. » On connaît la suite. Primaëlle Vertenoeil dirige une équipe de cinq personnes et supervisera le lancement de 30 à 40 nouveaux livres. 40% de la collection portent sur des ouvrages scientifiques à destination des étudiants des Hautes Écoles, le solde concerne des thématiques en rapport avec la province, au sens large. Son double défi : faire connaître cette récente structure et la (re)dynamiser.

Planning rempli, longues journées de travail, joie des réunions qui s’enchaînent. Qu’à cela ne tienne. Comme si sa barque n’était pas encore suffisamment chargée, elle ramène également du boulot à la maison le week-end. En juin 2014, elle a repris bénévolement une maison d’édition de poésie fondée en 1988, le Tétras-Lyre. Ou la réalisation d’un rêve. Son « projet du dimanche matin », sa « bulle d’air », qui lui permet d’éditer quatre à cinq livres par an. Elle reçoit trois à quatre manuscrits par semaine, mais ne fonctionne qu’au coup de coeur. Pas envie de sortir un ouvrage dont elle ne serait pas fière. Puis, son budget est limité. Elle se souvient encore de “sa” première édition, Meuse, fleuve nord, de Serge Delaive. « C’est la première fois que je me chargeais de tout de A à Z. Dès que j’ai lu les premières strophes, j’ai su que je devais absolument le faire. J’étais prête à y investir toutes mes économies. »

FAIRE LA DIFFÉRENCE

À ses yeux, la plus belle place dans la chaîne du livre est celle occupée par l’éditeur. « Car c’est l’autre créateur, après l’auteur. » L’éditrice adore lire les manuscrits qu’elle reçoit, évaluer leur potentialité, corriger, penser la mise en page, faire de la promotion lors de salons… Seul l’aspect commercial du métier lui sied moins. « J’aime faire la différence, penser l’ouvrage en détail, placer une photo à tel endroit plutôt qu’un autre… Ce métier mobilise plusieurs disciplines en même temps. »

“Publier un roman, c’est peut-être éprouver la nostalgie de ne pas l’écrire”, disait l’éditeur bruxellois Jacques Antoine. Primaëlle Vertenoeil avait inscrit la citation sur la première page de son mémoire. Pourtant, elle n’éprouve aucune mélancolie. « Je n’ai plus du tout envie d’écrire. Je suis tellement contente de voir un livre terminé, cela me suffit. »

Mélanie Geelkens
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