Novembre 2015 /248

Plantes et venins

Les venins et les plantes dans la pharmacie. Interview de Loïc Quinton et Michel Frédérich.

La phytothérapie, soit l’utilisation de plantes pour se soigner, est très ancienne : elle repose sur une tradition empirique de l’usage des plantes, une connaissance affinée aujourd’hui grâce aux très nombreuses études scientifiques. Les vertus des venins sont sans doute moins connues et pourtant ceux-ci contiennent aussi une grande variété de composés biologiques actifs intéressants pour la pharmacie. Interview croisée du Pr Michel Frederich, du département de pharmacie, et de Loïc Quinton, chargé de cours en faculté des Sciences, tous deux invités le 17 novembre à une rencontre de Liege Creative.

Frederich-MichelLe 15e jour du mois : Les plantes sont toujours un élément essentiel de la pharmacie ?

Michel Frederich : Bien sûr, et elles n’ont pas encore livré – loin de là – tout leur potentiel. En Europe, la phytothérapie a connu un regain d’intérêt depuis une dizaine d’années, grâce notamment à l’Agence européenne du médicament qui constitue un répertoire des plantes médicinales de nos contrées1.
Celui-ci décline, pour chaque végétal, les doses à prescrire selon les affections et indications précises, et renvoie aux études scientifiques disponibles. Ce regain d’intérêt a stimulé la recherche sur les plantes médicinales dans les laboratoires : récemment, par exemple, des équipes ont caractérisé l’euphorbe des jardins (Euphorbia peplus), une mauvaise herbe assez commune, déjà connue traditionnellement pour son action efficace sur les verrues cutanées. La recherche a révélé la substance active qui peut être utilisée également dans le cas de lésions précancéreuses cutanées (kératoses actiniques) et cancéreuses (carcinome basocellulaire).

Le 15e jour : Quelles recherches menez-vous dans votre laboratoire ?

M.F. : Nous essayons d’identifier les principes actifs contenus dans les plantes et, pour ma part, je m’intéresse aux métabolites secondaires, typiques des végétaux.
Mon équipe étudie plusieurs plantes tropicales (Terminalia mollis, Dicoma tomentosa ou Poupartia borbonica, par exemple) en provenance du Rwanda, du Burkina Faso ou de l’île de la Réunion. Nous cherchons des substances nouvelles qui auraient un effet curatif sur la malaria, une maladie qui tue chaque année, rappelons-le, près de 600 000 personnes, pour 200 millions de cas annuels, principalement de jeunes enfants. L’objectif ultime serait de concevoir un traitement bien sûr, mais un objectif plus proche est sans doute de valider les remèdes traditionnels employés in situ. Nous vérifions l’activité des plantes et leur non-toxicité, puis nous essayons de standardiser les produits mis en vente localement. Pour reprendre le vocabulaire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il s’agit de mettre sur pied un “médicament traditionnel amélioré”.
Enfin, de manière plus fondamentale, nous oeuvrons à la mise au point de nouvelles techniques d’identification des principes actifs d’origine végétale, car le procédé actuel est chronophage : il faut fractionner les extraits de plantes puis les purifier, tout en suivant les multiples étapes par un test d’activité. Cela peut demander plusieurs mois de travail. La conception d’une méthodologie plus rapide, basée sur la technologie émergente appelée “métabolomique”, est par ailleurs l’un des projets porté par “Verdir”.

1 Voir le site www.ema.europa.eu/ema/

QuintonLoicLe 15e jour du mois : Spontanément, le terme de venin ne suscite pas une image positive !

Loïc Quinton : Effectivement ! Le venin est un mélange toxique de molécules bioactives produit par des animaux afin de paralyser leur proie et de les tuer. La morsure d’un animal venimeux provoque une multitude d’effets chez sa victime : paralysies, hémorragies, nécroses, etc. Certaines toxines s’attaquent à la peau et aux tissus, les autres au système nerveux ou au système cardiaque. Ces molécules, plusieurs centaines au sein d’un venin, présentent des activités biologiques très sélectives et à faible dose. La purification des toxines et l’exploitation de leur activité sont extrêmement prometteuses pour la pharmacologie, la pharmacie, et même la médecine. Ainsi les serpents, araignées, scorpions, guêpes, abeilles, cônes marins, méduses, anémones de mer, scolopendres et autres salamandres constituent- ils de magnifiques pharmaciens…

Le 15e jour : Existe-t-il déjà des médicaments à base de venins ?

L.Q. : À l’heure actuelle, on connaît environ 5000 toxines et une dizaine de médicaments environ sont vendus en officine ou proches de l’être. Citons, à titre d’exemple, le Captopril, un antihypertenseur, le Byetta, utilisé dans le traitement du diabète de type 2, ou encore le Prialt, un analgésique plus performant que la morphine. Les recherches continuent. Nous avons participé au grand projet européen Venomics2, qui vient de se terminer. 203 espèces différentes ont été étudiées, 183 venins analysés et 25 000 toxines supplémentaires mises en exergue. 4000 ont été synthétisées et nous attendons à présent le résultat des tests biologiques afin de savoir si certaines de ces molécules pourraient être retenues comme potentiel candidat médicament.

Nous avons d’ailleurs participé parallèlement à la découverte d’une toxine contenue dans le venin du mamba vert3, un serpent de l’Afrique de l’Est, efficace dans le traitement de la polykystose rénale.

2 Venomics : projet européen réunissant le laboratoire de spectrométrie de masse (Pr Edwin de Pauw) de l’ULg, des laboratoires universitaires français et des PME espagnole, portugaise et danoise. Voir le site www.venomics-project.eu
3 Collaboration avec le Dr Nicolas Gilles (CEA Saclay)

Plantes et venins animaux au service de la médecine. Quelles innovations techniques ?

Rencontre Liege Creative, le mardi 17 novembre à 12h, au château de Colonster, 4000 Liège.

Contacts : courriel info@liegecreative.be, site www.liegecreative.be

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